39ème fragment : Naël

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LIX- Problème de confiance

L'Académie de Berbridge n'est pas stricte. Ce n'est pas la discipline et l'obéissance que l'on y enseigne, etn même si des directeurs zélés ont pu y instaurer un régime de terreur, ces tentatives de canaliser des centaines d'étudiants possédant des dons dépassant le commun des mortels se sont atténuées au fil du temps.

Actuellement, au 20ème siècle, même si l'intendance gère les détails importants et que les professeurs encadrent leurs matières avec sérieux, une fois la cloche de fin d'après-midi sonnée, chacun est libre de faire ce qui lui plaît. Dans la limite du raisonnable bien sûr. Les conseils de discipline ne sont pas abolis. Mais d'aucun considèrent, Ernan Mulberry étant compris dans ces gens, que les jeunes adultes ne sont jamais aussi sages que lorsqu'on leur accorde confiance et autonomie. C'est pourquoi il n'est pas rare pour les étudiants de l'Académie de parfois passer la soirée au bourg.

Rien de bien fou, ni d'insensé ou particulièrement décadent. Quelques bars, des balades au bord du lac et des promenades au clair de lune.

C'est pourquoi nous avons décidé de nous retrouver au Gomorrhe après l'épisode de la source. Le rendez-vous a été décidé avant que Hyacinthe ne nous montre la véritable nature de Berbridge, et je dois avouer que nous avons plutôt eu le nez fin. Je meurs d'envie de noyer ce que je viens de voir et d'entendre dans la boisson. Loïs n'a pas l'air beaucoup plus vaillant, et Elise est plongée dans des abîmes de réflexion. Elle jette de fréquents regards vers la porte d'entrée du bar.

Au bout d'une éternité, Lucy franchit enfin la porte. Elle nous jette un regard exaspéré que je comprends tout de suite en voyant qui est derrière elle. Maia est encore accompagnée de William. Je siffle entre mes dents.

-Il n'a pas d'amis celui-là?

Elise me fait les gros yeux et je me tais, avale une gorgée de whisky, grimace après cette tentative ratée de virilité colérique et me force à sourire pour accueillir les nouveaux arrivés.

-Je croyais que c'était une soirée privée, les alpague Loïs à ma place.

-Mon cher ami Coste, je pense qu'une preuve de maturité est de savoir demander de l'aide quand on en a besoin.

Je hausse les sourcils et regarde William qui s'installe en nous souriant poliment.

-Et nous avons besoin de ton petit ami parce que... ?

-Parce que j'ai rêvé de lui durant ma sieste de l'après-midi. Dans ce rêve, nous discutions de la suite des opérations. Pas très passionnant, je le conçois. Donc, comme on sait que je ne fais pas des songes complètement inutiles, au contraire, nous allons leur faire confiance.

Je me tais, chose relativement inhabituelle, et la fixe; Elle ne ment pas. Je regarde William. Maia a déjà eu un rêve que nous prenons tous extrêmement au sérieux, le réputé Mulberry y compris.

Si William est censé jouer un jeu dans tout ça, est ce que mon intuition basé sur, avouons le, une bonne dose de jalousie et de méfiance envers le fait que je n'arrive pas à le décrypter, fait le poids?

Discutable.

Elise évalue le pour et le contre. Loïs a envie de faire confiance à William. Il se sent dépassé. Lucy est agacée par le numéro d'amoureux transis, mais considère qu'on devrait lui laisser une chance. Très bien.

-Qu'est ce que tu sais? Lancé-je à William.

Ce dernier prend le temps de récupérer une des boissons que le serveur apporte à la tablée avant de se tourner vers moi. Son sourire et son regard me paraissent sincères.

-Ce que Maia m'a dit. La mort d'Elise. Le fait qu'un fantôme vous envoie des signaux étranges. Ce genre de banalités vous voyez. Et je veux vous aider. J'ai toujours admiré la famille Lecendre. Ce serait un honneur pour moi d'empêcher l'héritière en titre de décéder. Vraiment.

Je regarde Elise. On ne peut pas dire qu'il arrondisse les angles.

-Très bien, soupire cette dernière. Je vais vous raconter ce que nous avons vu ce soir.


LX- L'aube ne fait qu'avancer

Sans surprise, personne autour de la table n'était au courant pour la Source.

-Pour que le secret ait été gardé si longtemps, il y a forcément un sortilège qui a été utilisé, finit par déclarer William qui brise le silence ambiant.

-C'est possible ça? Je croyais que c'était interdit d'utiliser des dons de dissimulation, rétorque Lucy.

Elle a raison. Pour que la cohabitation entre Sciences Noires et monde normé puisse se dérouler sans problème, il est de notoriété publique que rien ne doit être dissimulé au gouvernement. Toute activité liée à la pratique des Sciences Noires, que ce soit dans ou hors de l'Académie est soigneusement consignée dans des registres dédiés. Tout un pan du ministère est chargé de surveiller et réguler. Nous réguler.

-Ce qui est légiféré peut être contourné. Si... Comment tu l'appelles déjà Elise?

-Hyacinthe.

-Si Hyacinthe, reprend William, affirme que la Source était là bien avant Berbridge et qu'elle est à l'origine même des dons de ses étudiants, il est probable que le secret ait été transmis de génération en génération par les dirigeants successifs. Et qu'ils se soient arrangés pour ne jamais avoir à le dévoiler au grand public.

-Reste qu'on ne sait pas quoi faire, je marmonne. On sait qu'il y a une menace. On sait que c'est lié à cette espèce de réserve d'énergie étrange.

-Et on suppose que Mulberry est au courant.

-Et si c'était lui la menace? Demande Maia.

Nous nous regardons, incertains.

-On n'a pas de raison de douter de lui, lance Loïs sans grande conviction.

-Mais on a pas non plus de raison de lui faire confiance, soupire sa sœur.

-Alors quoi? Qu'est ce qu'on fait?

Je suis fatiguée par cette conversation qui tourne en rond, et je vois bien au regard dans le vague d'Elise qu'elle pense la même chose. Je regarde le cadran du fond du bar qui indique 23 heures. L'ambiance commence à s'animer. La musique qui sort d'un poste radio tout neuf résonne et quelques jeunes de l'Académie dansent entre les tables.

-Pour l'instant, rien.

Je l'affirme à voix haute, ce qui m'attire le regard surpris des autres.

-En tout cas rien de plus que ce qu'on fait déjà. Fouiller, chercher, enquêter. Mais pour ce soir...

-Si tu dis "danser" je vais te mettre un pain, marmonne Lucy.

-Dommage, c'est exactement ce que j'avais en tête! Je m'exclame en prenant la main d'Elise.

On a beau être entourés de fantômes, on n'est pas encore mort.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant