Quatorzième fragment : Naël

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XX – De l'art d'éviter l'amour en toute occasion

Ça fait maintenant une semaine que les cours ont commencé. Je ne sais pas si c'est la modification de mes doses de médocs, mais j'ai l'impression d'être dans un état déplorable. On nous avait prévenu au début, et notre professeure principale, Emily Benson, nous a rassuré sur le fait que cette période finirait par passer, et que notre corps, et notre esprit, s'habituerait à la multitude de nouveaux stimulis qui viennent le chatouiller. La seule chose rassurante dans cette situation, c'est que mes camarades de classe sont à peu près dans le même état. Pas étonnant que les statistiques de notre spécialité aient tendance à la baisse. J'ai l'impression d'être une femme ménopausée supplément esprit envahi par mon environnement.

Je vois bien qu'Elise s'inquiète pour moi.

C'est assez rare que ce soit elle qui traîne avec des gens et moi qui m'enferme dans ma solitude.

La rêveuse et la jumelle, Lucy, ne l'ont pas lâché depuis la rentrée. Même si elle avait l'air de plutôt subir la situation il y a quelques jours, je sens que ça commence à lui plaire, même si elle le cache sous des grognements. Tant mieux pour elle, elle le mérite.

Je mâchouille un chewing-gum en appuyant ma tête contre l'arbre qui me sert de dossier. Le mal de crâne qui m'assaille depuis ce matin ne passe pas et je suis presque tenté de courir jusqu'au téléphone de l'Académie pour prévenir Grand-père de mon retour immédiat. Je n'ai jamais été courageux, je n'ai aucun attrait pour la souffrance et j'aime mieux m'amuser qu'étudier. En termes simples ; qu'est ce que je fous encore là ?

-Naël ?

Je ferme les yeux, serre les dents et reconstitue le sourire le plus nonchalant qui soit avant de me retourner. Évidemment, c'est dans un de mes plus tristes moments de faiblesse que l'homme le plus mignon des premières années décide de se rappeler à mon bon souvenir.

-En chair et en os. Je peux quelque chose pour toi Loïc ?

Il fronce les sourcils et s'assoit à mes côtés. Il ne semble pas vexé que je fasse semblant de ne pas me souvenir de lui. Ni que j'ai l'air de vouloir prendre la poudre d'escampette dès qu'il pose son super postérieur près du mien.

- C'est Loïs. En fait, Elise a parlé de toi à midi avec les filles. Elle s'inquiétait de ne pas te voir. Comme on a cru comprendre que vous étiez plutôt proches...

-C'est insupportable tu ne trouves pas ?

-Quoi donc ?

-D'avoir la sensation que chacun d'entre nous en sait beaucoup trop sur l'autre. Ça me vrille le crâne.

Ça et tout le reste. Il réfléchit et ouvre la bouche pour répondre, mais je le prends de court :

-Bien sûr, toi tu ne saisis pas tout à fait parce que ton don est différent du mien. Mais tu peux essayer de m'écouter si j'en ai besoin parce que tu te sens un peu coupable, et en même temps tu ne comprends pas pourquoi j'évite ton regard à chaque fois qu'on se voit. C'est ça que tu allais dire ?

Je m'attends à ce qu'il se braque, mais à la place il éclate de rire.

-Tu as raison, c'est parfaitement insupportable.

Je ne peux m'empêcher de sourire. Sa joie est communicative.

-N'est ce pas ? Donc tu comprendras que j'ai besoin d'un peu de solitude ?

-Je peux te proposer quelque chose ?

-Il est un peu tôt pour ça, non ?

Il ouvre la bouche, ébahi, avant de se reprendre, mais je sens son trouble.

-Non je... je voulais dire qu'on pouvait rester tous les deux ensembles. Côte à côte, en silence. Promis, je ne laisserais pas mes pensées te parasiter. Mais Elise a dit que tu avais du mal avec la solitude, en dépit de ton don. Je me propose donc comme sacrifice de ton confort personnel.

J'hésite à peine dix secondes avant de répondre.

-D'accord.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant