65ème fragment : Naël

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CVI - Foudre

Le spectacle qui s'offre à nous quand Mulberry ouvre la porte nous cloue sur place. Elise et William sont face à face, de part et d'autre de la source. Hyacinthe est près de ma cousine dont la voix tressaille en nous voyant.

En arrivant à la tour, nous avons immédiatement senti que quelque chose n'allait pas. La terre aux alentours du bâtiment de pierre semblait gronder, vibrer sous nos pieds. Sans nous jeter un regard, Mulberry s'est précipité aux sous-sols, notre petit groupe sur ses talons.

A présent, l'horreur de la situation m'apparaît de façon encore plus claire. William et Elise tiennent à peine sur leurs jambes, leurs visages blêmes sont souillés par le sang qui coule de leur nez et de leurs oreilles. L'air est saturé de son, d'odeurs, d'énergie, j'ai l'impression d'être ivre de sensation, pire encore que lors d'une soirée. Hyacinthe, elle, semble en forme, et la vision de son corps immatériel presque brillant de santé me met en colère.

Tout est de sa faute.

Si Elise a vrillé, c'est parce qu'elle se convainc qu'elle est amoureuse d'elle. Comme si une telle chose était possible. Et puis quoi encore, tomber amoureux d'un personnage de livre ou de films?

Il y a comme un moment de flottement. Un silence après le capharnaüm qui a suivi notre entrée. Mon souffle n'est plus qu'un filet, mon cœur est presque à l'arrêt.

Mulberry s'avance vers William et Elise, les mains levés, comme s'il avait affaire à deux brigands sur le point de le liquider. Ce qui n'est pas totalement, soyons honnêtes, éloigné de la vérité.

Mon regard est attiré vers la source de ce chaos. La faille s'est étendue par rapport à la dernière fois. Ses ramifications parcourent toute la pièce et s'étendent jusqu'aux murs où elles brillent d'une lumière sinistre. Et elle palpite. Elle vit, je le sens dans ses mouvements et l'air qu'elle sature d'émotions. J'ai la même impression que lorsque j'essaie d'utiliser mon don sur un animal.

Il y a de la colère, beaucoup de colère, mais aussi énormément de frustration. Elle n'apprécie pas que Mulberry l'ait interrompue, pas si prêt du but. Des tentacules de lumières s'échappent du centre de la Source, dardant leur allure menaçante sur chacun d'entre nous. Je fais un pas de côté pile avant que l'une d'elle n'essaie de m'atteindre, teintant l'air d'électricité. Je glapis comme un animal blessé et me réfugie du côté de Loïs qui fait barrage avec son corps.

-Field, Lecendre. Il est temps de cesser ce rituel ridicule. Maintenant. Sortez du cercle et rejoignez moi.

La voix de Mulberry est orageuse, calme malgré la gravité de la situation. Il ignore les rais de lumières qui fouettent l'air à ses côtés. Dans ses mains, un petit coffret que je l'ai vu sortir dans la forêt pour y ranger ce qu'il a volé dans la sépulture de Hyacinthe.

Cette dernière murmure quelque chose à Elise. Elise secoue la tête, le regard empli de colère. Ça me fait un choc. Ce n'est pas son état normal. Elles échangent de façon virulente, mais je ne les entends pas à cause des bruits de la Source. William semble partagé. L'assurance et le sourire narquois de façade me paraissent bien fades. Il est épuisé, perdu, et ne semble pas savoir quelle décision prendre.

-Il est encore temps de clôre le rituel maintenant, marmonne Mulberry. Mais de la bonne façon cette fois. Sans risquer la vie de qui que ce soit, en plongeant définitivement la Source dans le coma duquel elle n'aurait jamais dû être sortie!

William croise le regard de Maia. Je les vois échanger sans mots, et je comprends que leur courte histoire était peut-être un peu plus que de la manipulation mutuelle. Maia secoue la tête et murmure un mot que je ne comprends pas.

William baisse les bras, son parchemin pend lamentablement contre son corps. C'est comme si toute la tension du rituel et toute son énergie s'étaient vidées d'un coup et il s'effondre à genoux, juste à côté du cercle.

Un cri strident envahit la pièce. Paniqué, je regarde partout autour de moi avant de comprendre. C'est elle qui a crié. La faille est furieuse, et le son me perce les tympans. Je grogne en me recroquevillant sur moi-même. L'air crépite, des étincelles rebondissent sur ma peau. Je sens Loïs me tenir contre lui pour m'empêcher de me prendre un peu plus de cette foudre vengeresse.

Ma tête tourne comme après le meurtre de Mlle Loisel. La nausée me reprend, mon cœur s'agite comme s'il voulait s'enfuir et la douleur me plie en deux, si forte que je n'arrive pas à la tenir à distance. Du coin de l'œil, je vois Lucy, Loïs, William et Maia vaciller à leur tour. Leur douleur s'ajoute à la mienne et bientôt, n'y tenant plus, je sombre dans une inconscience réconfortante.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant