30ème fragment : Elise

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XLIV - Mens Sana in Corpore Sano

Les gouttes d'eau tombent sur notre parapluie avec une régularité qui berce mon esprit agité. Il est encore tôt ce matin, mais les premières années doivent se rendre au stade pour assister à une démonstration des différents clubs physiques de l'Académie.

Ni Naël ni moi n'avons l'intention de nous transformer en athlète accompli, mais rester au grand air a ses attraits, pour lui comme pour moi.

Nous n'avons pas reparlé de Hyacinthe depuis la dernière fois, mais je sais qu'il n'a pas changé d'avis, tout comme je ne suis pas revenu sur ma décision de croire la femme au cou coupé qui hante mon esprit. Comme les deux jeunes adultes névrosés que nous sommes, nous choisissons simplement de vivre dans le déni. Une méthode qui a ses vertus.

Je le sais, j'utilise la même pour ne pas penser à ma mort imminente.

-L'avantage de ce temps un peu miteux, marmonne Naël en évitant une flaque de boue dans la montée qui mène à l'Académie, c'est que les beaux sportifs seront tous mouillés. L'inconvénient, c'est que j'ai plus de frisottis que de cheveux.

-Tu devrais utiliser le shampoing qu'essaye de nous vendre Marigold depuis notre arrivée. Elle en avait l'air particulièrement fière.

Je ne sais pas si c'est le fait de m'occuper des petits esprits qui hantaient sa pension, mais la tenancière est de bien meilleure humeur qu'à notre arrivée. J'en arriverais presque à trouver agréable les soirées au coin du feu ou elle nous apporte nos repas.

-Si aucun garçon ne m'aime avec une coupe désastreuse, c'est qu'ils ne me méritent pas. Souviens toi de ce sage conseil quand tu décideras de dire adieu au célibat.

Je le bouscule gentiment, ce qui le fait autant râler que rigoler.

La pluie s'est calmée quand nous pénétrons dans l'enceinte du stade. J'utilise mon sous pull pour essuyer mes lunettes couvertes de gouttelettes tout en suivant Naël. Les premières années commencent déjà à se rassembler sur les gradins. Un bourdonnement constant de bavardage accompagne notre arrivée. Naël repère facilement Maia et les jumeaux qui nous ont gardé des places.

Le stade de l'Académie de Berbridge a été construit bien des années après le château, vers le 17ème siècle. Auparavant, les différents directeurs et directrices ne voyaient pas l'intérêt de développer une doctrine qui mette autant en avant le corps dans un monde où règnent les sciences de l'esprit. Je ne peux pas dire que je sois en désaccord avec eux.

Même si, après réflexion, il est préférable de savoir courir sans s'essouffler quand on est en danger de mort.

-On commençait à s'impatienter, lance Loïs en s'écartant pour laisser Naël s'asseoir à côté de lui.

-Tu commençais à t'impatienter, lui lance sa sœur sans quitter des yeux le pain au chocolat qu'elle dépiaute méticuleusement.

Naël et Loïs détournent tous les deux le regard, et je retiens un sourire en songeant qu'ils étaient sûrement ensemble hier soir. Petit cachotiers.

Je m'assois à côté de Maia. Elle ne quitte pas l'enceinte du stade des yeux, comme si elle était à la recherche de quelque chose. Ou quelqu'un. Peut-être William.

Le brouhaha des spectateurs se calme peu à peu. Le directeur fait son entrée d'un pas traînant, accompagné d'une petite femme que j'ai aperçu le jour de la rentrée.

Henriette Corman, professeure de sport émérite et ancienne championne nationale de course. Une normée qui a réussi l'exploit de battre en duel à plusieurs reprises ses différentes concurrentes, même les plus aguerries.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant