68ème fragment : Elise

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CIX - La mort et les vivants

Mes yeux papillonnent avant de s'ouvrir tout à fait. Il fait jour. A mes côtés, sur le lit, l'Echo de Forzerand. Sur la première page s'étale une photographie en noir et blanc de l'Académie. Franchement sinistre.

Je ferme à nouveau les yeux, inspire une fois, bloque ma respiration, expire. Je me remplis d'air pour ne pas me sentir vide. Les adieux à Hyacinthe m'ont arraché une partie de mon cœur, et le fait que personne ne le comprenne me plonge dans un état d'abattement intense.

Naël a tenté de me parler avant mon départ, mais j'ai sciemment ignoré ses tentatives, me murant dans un mutisme qu'il n'a pas réussi à briser. Qu'importe, puisqu'il pouvait très bien lire mon ressentiment à son égard.

Depuis mon retour au manoir Lecendre, je n'ai pas quitté ma chambre, refusant tout appel téléphonique de l'extérieur. Mon seul lien avec tout ça ce sont les journaux que grand-père me fait apporter en même temps que mon petit déjeuner. Au moins un qui sait respecter mes limites.

Je ne m'étais pas rendu compte d'à quel point le manoir était silencieux avant d'étudier à Berbridge. Les trois esprits me manquent, même si je ne leur avouerais pour rien au monde. Il vaut mieux pour tout le monde que Berbridge m'oublie.

Mulberry s'est montré conciliant à mon égard. Il ne nous a pas sermonné ou disputé plus que nécessaire. Je pense même que c'est grâce à lui que je n'ai pas reçu de sanction. Ca, et le statut et l'argent des Lecendre. Je sais que William n'a pas eu autant de chance. Il a dû répondre de ses actes, et même si j'ignore quelles sanctions il encourt, l'échec familial sera encore plus dur à porter pour lui. Une réputation sans argent n'a pas de valeur pour ce pays. Il a au moins la chance que le ministère fasse tout pour étouffer cette affaire. Peut-être pourra-t-il même revenir à Berbridge.

Moi je ne le veux pas. C'est trop douloureux d'imaginer ces lieux sans elle.

J'ai l'impression de la connaître sans la connaître, de l'avoir côtoyé pendant 1000 ans et en même temps de l'avoir vu le temps d'un battement de paupière.

La mort se joue de notre perception du temps.

Pourtant, je sais ce que j'ai ressenti. Ce n'était pas une illusion, pas une vulgaire passade.

Il est toujours difficile d'oublier son premier amour de jeunesse.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant