Quatrième fragment : Elise

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VII- La foule

Mon sac est un peu trop lourd et je le sens peser sur mon épaule. La scoliose que m'a prévu tante Hugette lors d'une de ses séances de voyance se confirme un peu plus au fil des années.

Je jette un regard autour de moi. L'académie de Berbridge étant la plus importante du Continent en ce qui concerne les Sciences Noires, il y a des étudiants de tous le pays, et même des étrangers. Bien plus que ce que j'ai l'habitude de côtoyer. Même à la capitale, il n'y a pas de gros brassage de population. La faute à une politique des relations étrangères austère et froide, à l'image de ce pays.

Les plus vieux élèves que nous croisons doivent avoir 25 ans, et on ressent le décalage entre les pauvres brebis sorties du lycée que nous sommes et ces étudiants sûrs d'eux, reconnaissables à leurs broches dorées qui ornent fièrement leurs pulls ou leurs vestes.

Bientôt nous en arborerons une nous aussi, en bois. Chaque spécialité a sa propre broche.

Ceux qui conversent avec les morts comme moi ont pour emblème une abeille. J'aurais pu tomber plus mal, même si la symbolique derrière les choix des insectes me laisse songeuse. J'ai l'impression que c'est plus une question d'esthétique que d'occultisme.

L'épaule de Naël me frôle. Il a l'air détendu, mais sa mâchoire crispée et son regard fuyant ne me trompent pas. Je lui prends la main et la serre brièvement, un geste dont nous avons l'habitude depuis l'enfance.

Comme tous ceux de sa classe, il va devoir réduire la dose de son médicament.

A 25 ans il n'en prendra plus du tout et sera capable de contrôler complètement ses facultés. Du moins si tout se passe bien d'ici là. Je suis déjà incapable d'envisager un voyage en train sans accident, vous pensez bien que j'ai du mal à me projeter si loin dans ma vie de jeune adulte.

La foule se presse vers le grand portail en fonte au-dessus duquel Berbridge s'inscrit en lettres capitales. C'est comme si l'architecte des lieux avait décidé de tout faire pour qu'on comprenne au premier coup d'œil qu'ici, on étudie les Sciences Noires et pas autre chose. L'inspiration y est gothique, sombre, écrasante et impressionnante. Ça ne m'étonnerait pas d'apprendre que l'esprit de l'architecte traîne à l'entrée en scrutant les étudiants impressionnables avec un air satisfait.

La bâtisse principale est écrasante. La cour dans laquelle nous nous massons est triste. Les quelques arbres que nous y voyons semblent en pleine dépression. Les pierres sont couvertes de mousses et j'ai déjà vu trois premières années glisser et manquer de se casser la figure. Même le pensionnat pour jeune fille créait moins de mélancolie.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant