48ème fragment : Elise, Hyacinthe

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LXXVI - H

Mes pas m'ont mené devant la tour Nord. Impossible de l'extérieur de deviner ce qui se cache en son sein. Quant aux drames qui s'y sont joués, seuls les panneaux et les bandes annonçant le passage interdit en témoignent.

Le corps de Loisel a été emporté je ne sais où. La voiture de l'agent du gouvernement a disparu. C'est comme si l'affaire était réglée. Je frissonne en songeant aux révélations de William. Si il a raison et que c'est bien la simple présence des trois descendants de ceux qui ont voulu la libérer qui agitent la source, il vaudrait mieux partir. Mulberry, quoi qu'il sache, ne va pas abandonner son poste. William a l'air bien trop sûr de lui pour abandonner.

-Il ne te laissera pas partir.

Je sursaute. Pour une fois je ne l'ai pas senti approcher. La cour est peuplée de rares élèves qui ne la voient pas et ne font pas attention à moi.

-Qu'est ce qu'il compte faire, m'attacher à un poteau? Me tuer?

Je m'interromps, fronce les sourcils.

-C'est lui qui va me tuer?

Hyacinthe se mords les lèvres, se retient de dire quelque chose, se ravise.

-Un rêve n'est qu'une possibilité parmi d'autres. Seule Mlle Ethan en connaît les détails. Une possibilité, une simple probabilité. C'est pour ça qu'il est difficile de lire l'avenir avec certitude à travers les songes. Ils peuvent nous manipuler plus que nous ne pensons les maîtriser.

-Ce n'est toujours pas une réponse.

-Je suis désolée Elise.

-C'est toi H ?

-Il y a peu de prénoms qui commencent par un H. Hector, Hernani, Ha...

-Hyacinthe!

Elle me fait un sourire penaud.

-Pardon. C'est moi.

Je la dévisage. L'idée qu'un homme, et à fortiori Paul Lecendre, un de mes propres ancêtres, ait pu envisager de la demander en mariage s'infiltre dans mon cerveau fatigué. Il y a dans cette hypothèse quelque chose de profondément dérangeant, qui me soulève le cœur. Elle me fixe, comme pour décrypter mes pensées, avant de reprendre la parole.

-Je n'aimais pas Paul. Je n'ai jamais aimé les hommes. Une autre de mes tares, conclut-elle piteusement.

Je ne devrais pas ressentir un tel soulagement. J'ai à nouveau envie de la prendre dans mes bras, mais la frustration de ne pouvoir que l'imaginer me crispe à nouveau.

-Tu étais donc bien élève ici?

-Pas exactement...

Elle relève la tête et fixe un point derrière moi.

-Je te laisse. Naël et toi avez beaucoup à vous dire.

Elle disparaît. Encore.

LXXVII - Discussion

Nous avons trouvé refuge dans notre désormais bar favori, le Gomorrhe. L'ambiance entre nous est morose tandis qu'Elise nous résume rapidement ce que lui a dit Hyacinthe. Je m'étire, crispée par l'énervement. Ma proposition d'assassiner William en le poussant dans les escaliers n'a pas remporté le succès escompté. Je reste convaincu que c'est une bonne idée.

Lucy n'a pas rendu le carnet à William, il ne le lui a pas demandé. Elle étudie les graphes et schémas qui le composent. Comme si avoir des devoirs supplémentaires constituaient un plaisir.

-Elle a besoin de défis pour se stimuler intellectuellement, me murmure Loïs qui a suivi mon regard.

-Tu n'es pas obligé de rendre si évident le contraste d'intelligence entre ta sœur et moi, je soupire.

Il ricane et reprend une gorgée de sa bière.

-Pour le moment, à part une pluie un peu trop forte, quelques arbres pourris et un meurtre, rien de trop grave ne s'est déroulé, finit par exprimer Maïa. Ne me regardez pas comme ça. Non pas que la mort de cette pauvre Mme Loisel n'ait pas d'incidence, mais... Je suis d'accord avec Elise, si l'un des trois s'en va, la Source se calmera peut-être.

-Hypothèse naïve, réplique Lucy en relevant le nez du carnet. On ne parle pas d'un nourrisson. Elle a faim. Elle sommeillait parce que quelque chose l'a replongé dans le sommeil lors du précédent rituel. Elle s'était calmée. Ce n'est plus le cas. Et même si son action se concentre sur Berbridge, c'est suffisant pour avoir des conséquences terribles.

-Alors quoi, on se dit que William a raison et on essaie de la verrouiller d'une façon ou d'une autre? Alors même que d'autres ont sûrement essayé avant nous, sans succès? Lance Loïs.

-Les Sciences Noires ont évolué en 70 ans. Non pas que ça me fasse plaisir d'envisager cette option, mais je pense qu'Elise devrait au moins écouter ce que William propose. Je ne vais pas vous reproposer d'aller voir Mulberry vu l'accueil que cette proposition a eu la dernière fois...

Je regarde Elise dont le regard se noie dans son verre de grenadine.

-Très bien. Je vais lui parler.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant