53ème fragment : Naël, Maïa

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LXXXVI - Herbes médicinales

-Elle ne dort plus, elle mange à peine, elle passe son temps sur ce foutu carnet. Elle est si concentrée que je n'arrive même plus à l'écouter penser.

Je ronchonne pendant que Loïs me masse les épaules. Tous les deux affalés sur un des lits de la chambre de Maïa et Lucy, nous nous livrons à mon activité préférée : le bureau des plaintes.

Pour nous mettre à l'abri des oreilles indiscrètes, nous nous sommes réunis ici.

-Tu devrais essayer de discuter avec elle. Calmement. Sans tout ramener à toi, me lance Maia de son propre lit où elle fabrique un attrape-rêve en bouchons de liège.

Je manque de m'étouffer devant son audace. Elle me fait un clin d'œil.

-Mais comme je vois que tu es un petit être nerveux et impatient, on va donner un petit coup de pouce au destin.

Elle me désigne sa réalisation que je regarde d'un air circonspect.

-A quelle culture as tu piqué cette idée? Demande Lucy en penchant la tête sur le côté.

Sans répondre, Maia s'installe un peu plus confortablement dans son fauteuil et sort une bouteille dont elle dévisse le bouchon. Un parfum très fort d'herbe et de médicament parvient jusqu'à mon nez.

-Si vous assistiez aux cours de science du rêve, vous sauriez que l'utilisation d'un artefact pour canaliser les énergies est une pratique courante et qui a fait ses preuves. Maintenant cessez de jacasser et laissez moi réfléchir un peu au bourbier dans lequel nous nous trouvons!

Je la regarde boire avec un mélange de fascination et de dégoût.

-J'espère que tu ne vas pas t'empoisonner, marmonne Loïs en souriant.

Elle lui fait un doigt d'honneur avant de s'enfoncer dans son siège. Sa respiration ralentit, ses yeux se ferment et je sens bientôt ses pensées s'éteindre pour regagner le confort de l'inconscient.

LXXXVII-

Le monde est flou, si flou qu'elle a du mal à en percevoir les contours. Elle ne sait plus dans quel endroit elle se trouve, ni quelles sont les voix qu'elle entend. Ses pas se posent sur le sol avec une lenteur qui lui provoque une frustration dont elle commence à avoir l'habitude.

Tout est beaucoup plus lent dans le monde des rêves, surtout quand on en prend conscience.

Elle tourne la tête, à gauche, à droite, à la recherche d'un indice, d'une voix, d'une indication. Au bout de dix pas, elle sort du brouillard.

La pièce est la même que celle de son souvenir. Une salle sombre, sans fenêtre, parcourue d'éclairs. Elle s'approche de la source, cette masse informe composée d'énergie. Son cœur bat à l'unisson avec celui de la rêveuse.

Elle ne peut pas détacher son regard, s'approche, plus près, toujours plus près.

Un cri la fait sursauter. Elle se retourne et lui fait face. Le garçon. Le voyageur. Il crie quelque chose qu'elle ne comprend pas, mais son corps se couvre de frissons. Il a l'air terrorisé. Elle se retourne et voit la masse d'énergie grandir. Grandir, encore. Elle va les englober et la rêveuse sait, comprends qu'elle va se faire dévorer.

Un cri muet franchit ses lèvres.

De l'autre côté de la faille, par delà la source; il y a Elise et le fantôme. Ce dernier lui jette un regard implorant. La rêveuse sait qu'elle la regarde, elle. Elle veut lui faire comprendre quelque chose, mais elle ne comprend pas. La lumière grossit, et elle veut faire demi-tour, mais elle ne peut pas courir, fait du surplace. Le voyageur a quitté son corps et à sa place se trouve un os. Le feu de la source la brûle, comme il brûlera l'Académie. Leurs cendres reposeront là, il ne restera que des os, des os, une montagne d'ossements.

ELLE HURLE.

LXXXVIII - Timing

La rêve que Maia nous raconte n'a aucun sens. Comme souvent avec les rêveurs, il faut un temps monstrueux pour comprendre ne serait-ce que dix minutes de songes. Mais je me garde bien de le lui faire remarquer. Elle a l'air suffisamment perturbée comme ça. Pour une fois, je me contente de les écouter débattre de ce que cette vision pourrait signifier. Ma jambe tressaute à cause de l'agitation.

-Je crois que ce qui est clair, je marmonne, c'est qu'on ne peut pas faire confiance à William.

Les trois me prêtent à peine attention, concentrée sur leur analysé. Lucy note frénétiquement des informations dans un calepin.

-Je ne suis pas sûre de la signification des os, marmonne Maïa. Ca peut vouloir tout et rien dire.

-C'est ça avec les rêves, soupire Loïs. On ne sait jamais si on doit les prendre de façon littérale ou imagé.

-Peut-être devrait t-on s'adresser à un spécialiste des rêves?

-Et devoir s'expliquer sur notre démarche? C'est un coup à se retrouver avec le ministère aux fesses, je rétorque.

-Pas faux, soupire Lucy.

-Pour autant, je commence, hésitant, il ne me paraît pas bête de demander de l'aide. Mais pas n'importe comment. On sait qu'il y a au moins une personne qui est au courant de tout ce qui se passe dans cette Académie. La question est de savoir si on peut compter sur lui. Ou pas.

Loïs comprends avant même que je ne formule à voix haute. Sa sœur aussi au vu de sa réaction agacée.

-Ce n'est pas pour te contredire ou pour insister, mais c'est très exactement l'idée que j'avais il y a une semaine.

Je me lève du lit avec nonchalance, le sourire aux lèvres.

-Parfois, tout est une simple question de timing.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant