21ème fragment : Elise

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XXXI - Mauvaise impression

Pour la première fois depuis quelques jours, un rayon de soleil vient éclairer ce dimanche venteux. Naël se traîne derrière moi en grommelant. Nous traversons le portail puis la cour. Une partie des élèves étant rentrée pour le week-end et l'autre étant sûrement en train de décuver dans leurs chambres, nous ne croisons que de rares âmes.

J'ai dormi d'un sommeil agité, mais l'excitation et la curiosité me laissent en pleine forme et je me dirige d'un pas conquérant vers la tour Sud.

-Sans vouloir te vexer, tu penses qu'elle va encore se montrer si tu claques des doigts? Peut-être qu'elle fait la grasse matinée comme toutes les personnes censées un jour de fin de semaine.

-Je ne pense pas qu'elle se montrera, surtout si tu es là. En fait, j'espère même qu'elle ne se montre pas. Ça me permettra de fouiner sans distraction.

-Oooh, malin.

Nous pénétrons dans la salle commune qui est totalement métamorphosée. Il est 10 heures et pourtant on dirait qu'il ne s'est absolument rien passé la veille. J'ai pourtant des souvenirs assez précis de décadence.

-Est ce que des petits être armés de balais et de serpillères sont passés par là ce matin? Où sont les habituels cadavres de bouteilles et de soulards ? Me murmure Naël en jetant des regards intrigués à la cantonade.

-Il faut croire que certains d'entre nous ont plus à cœur de vivre dans un milieu décent que d'autres, nous répond une voix du fond de la pièce.

Un élève d'une année supérieure, que je ne connais pas, sourit gentiment, un sac poubelle à la main.

Près de moi, je sens Naël se rapprocher et son bras se coller au mien. Je lui jette un regard interrogateur, mais il reste focalisé sur le nouveau venu qui nous rejoint et tend la main.

-William Field. Je suis en troisième année. On s'est rencontré hier soir avec Naël, mais nous n'avons pas été présentés correctement.

Je lui serre la main, un peu surprise. Naël ne m'a pas parlé de lui. Je le catégorise donc dans les "flirts de soirée un peu gênants sur lesquels ne pas s'appesantir". Vu sa tête, je ne me trompe pas en affirmant que mon cousin a tout sauf envie de faire la conversation avec lui.

-Elise.

Je laisse volontairement un silence s'installer, coupant court à la conversation. Il nous regarde à tour de rôle sans rien laisser paraître avant de reprendre la parole.

-Qu'est ce qui vous amène ici un dimanche matin ? Généralement les élèves profitent de ce jour pour se balader dans le bourg ou la forêt, pas s'enfermer à l'Académie. Surtout les premières années. Encore moins après une soirée mouvementé, ajoute t-il avec un clin d'oeil à Naël

-J'ai perdu quelque chose aux toilettes hier soir, réplique ce dernier sans laisser paraître le moindre doute dans son mensonge.

-Oh... Pourtant...

-Nous sommes plutôt pressés Will. Si tu veux bien nous excuser...

Sans lui en laisser la possibilité, j'attrappe le bras de Naël et l'entraîne vers les escaliers.

Une fois seuls, je m'arrête et lui fais face.

-Qu'est ce que c'était que cette ambiance étrange? Tu t'es pris la tête avec un troisième année hier soir?

-Non, bien sûr que non, tu sais bien que je fuis le conflit comme la peste. Non c'est juste un garçon très beau, mais j'ai eu une sensation très étrange en lui parlant. Vraiment bizarre.

-De quel genre?

Je pense aux quelques mauvaises aventures que Naël a déjà vécues dans sa vie sentimentale. Être un empathe n'est pas une chose facile pour un jeune garçon qui découvre l'amour et... Le reste. Enfin j'imagine, c'est lui qui m'a raconté.

-Je ne sais pas. Ce ne sont pas ses pensées ou quoi que ce soit. C'est même plutôt l'inverse. Je ne percevais rien de lui.

-C'est peut-être ton sevrage qui fait des siennes.

-Non, ce n'est pas ça. Ce matin je percevais très bien tes intentions quand je me concentrais. Quand on s'est retrouvé face à lui, c'était différent.

-C'est peut-être un empathe ? Vous pouvez faire ça vous, non? Masquer un peu tout ça.

Il se renfrogne, sûrement frustré que je ne comprenne pas ce qu'il essaie de me dire.

-Ecoute, ce n'est sûrement pas très grave, tu as pas mal bu et tu es fatigué par ton nouveau dosage. On ne va pas le revoir de sitôt ce garçon de toute façon. Et si jamais tu as de nouveau des loupés avec ton don, tu auras juste à en parler à un professeur ou quelqu'un de ta classe. Rien de bien problématique en somme.

Son visage se détend et il finit par sourire.

-Je dois admettre que la voix de la raison a encore frappé.

-Évidemment. Maintenant dépêchons-nous, je n'ai pas envie que les autres élèves nous voient fouiller.


XXXII - Voyages

-Tu es sûre que c'était bien dans ce couloir?

-À peu près. Mais encore une fois, c'est difficile de l'affirmer. J'étais... Ailleurs.

Naël délaisse le mur de pierre et se tourne vers moi, intrigué. Ca fait maintenant une bonne demi heure que nous parcourons le couloir du premier étage de long en large.

-Ailleurs? Hum, tu sais qui est capable de faire ce genre de choses?

-Je sais ce que tu penses...

-Non, ça c'est moi d'habitude, m'interrompt-il en d'un air narquois.

-Je sais ce que tu penses, reprends-je sans le laisser me perturber, mais non. Je n'ai jamais manifesté aucun don pour le Voyage. Et en plus j'étais dans mon corps. J'en suis quasiment sûre en tout cas.

Les voyageurs font partie de la dernière spécialité enseignée à l'Académie. Et je comprends pourquoi Naël pense ça. Leur don leur permet de quitter temporairement leur corps, pour se retrouver dans des endroits de toute sorte, parfois même invisibles à l'œil nu. C'est un don rare et très précieux. Et si vous vous demandez, non, je n'en ai jamais manifesté le moindre petit signe. Être médiocre dans un seul domaine est déjà une occupation à plein temps.

-Bon, pas de voyage. Alors c'est le fantôme qui t'a emmené... Quelque part? C'est possible ça?

-Je n'en sais rien. Proserpine ne m'a jamais parlé de ce genre de choses.

Ce n'est pas comme si elle m'avait parlé de grand chose de toute façon. Naël le sait et me lance un regard de compassion.

-On va s'y prendre autrement, déclare t-il. Il faut trouver qui elle est. Pour ça, deux solutions ma petite Elise. La première, tu la connais, c'est déjà ta vie.

-La... Bibliothèque?

-Bingo! Pour le reste, rien de tel qu'une petite enquête auprès des élèves. Si un fantôme de femme au cou tranché hante cette tour, il y a forcément des rumeurs. Sans vouloir te vexer, tu ne dois pas être la première médium à la voir.

-J'imagine que moi je m'occupe de la bibliothèque et toi de la partie sociale?

-Bingo. Mais comme on est dimanche, on reprendra demain. C'est bien assez de travail pour aujourd'hui, et tu ne vas pas gâcher l'un des rares jours d'automne où il fait beau à t'enterrer dans les livres.

Mon premier instinct est de le contredire. Mais le soleil qui passe à travers les fenêtres et l'apparition soudaine de mes petits esprits dont je sens l'enthousiasme pressant me fait céder.

-Très bien. Mais demain, sans faute.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant