63ème fragment : Elise, William

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CIII - Descente

Il est presque 20 heures quand je rejoins William au pied de la tour Nord. Il porte un sac à dos comme s'il partait en voyage. Son soulagement en me voyant me conforte dans l'idée qu'il n'était pas aussi sûr de mes convictions et de mon ralliement à sa cause.

-Le soleil...

-Est encore là pour le moment, mais je pense que la lune ne tardera pas à se lever. De toute façon, pour notre rituel, c'est plus une question de position et de temps que de lumière.

Je hoche la tête. Quand il explique les choses de façon logique et raisonnée, j'ai envie de le croire. J'ignore l'angoisse qui étreint ma poitrine et entre après lui dans la tour. Personne ne fait attention à nous. Depuis quelques jours, la tour a de nouveau rouvert, même si la fréquentation de l'infirmerie a étonnamment baissé. Aucun remplaçant n'a encore été dépêché pour prendre la suite de Loisel.

-Comment allons-nous nous rendre au sous-sol? La clé...

-Nous en avons une, me dit-il triomphalement en sortant de sa poche un double.

Je le suis alors qu'il traverse l'infirmerie au pas de course.

-J'ai pris soin de prendre une empreinte le jour où je t'ai proposé de rendre la clé à Mulberry. Je savais que pour le rituel je ne pouvais pas me contenter d'y aller sans mon enveloppe corporelle.

Je reste silencieuse pendant qu'il ouvre la porte et commence à descendre les escaliers. Il allume la lampe qu'il a pris soin d'amener et je le suis en essayant de ne pas laisser mes doutes me parasiter.

CIV - Décorum

La salle de la Source est encore plus lumineuse que ce dont je me souvenais. La faille en son centre palpite furieusement, comme un cœur en pleine crise tachycardique. La proximité avec cette chose me met mal à l'aise autant qu'elle m'excite. Je veux en finir au plus vite.

Un souffle d'air me parcourt et je sais qu'elle est là. Hyacinthe apparaît près de la faille. Elle a l'air encore plus fragile. Et encore plus humaine.

Elle nous jette un regard à tour de rôle. William la salue d'un geste de la tête avant de s'accroupir pour vider son sac à dos. Ces deux-là se sont peut-être croisés lors des voyages de Will dans cette pièce, mais ils n'ont pas l'air si proche que ça. Quelque part, j'en suis soulagée.

Je m'approche de Hyacinthe, fébrile.

-Comment tu le sens?

-Je ne sais pas Elise, la Source est parfois imprévisible. Je suis liée à elle, mais ce n'est pas pour autant que je la comprends...

Elle se mords les lèvres, hésitante, comme si elle voulait ajouter quelque chose.

William m'interpelle sèchement et je la quitte à regret pour retrouver mon camarade de rituel. Elle nous regarde disposer l'ensemble du décorum pour le rituel. Une partie des éléments sont trouvables au château ou dans la boutique d'occultisme du bourg. Une partie est plus inabordable et je ne sais pas comment William se l'est procuré, comme cette écaille de Poisson Dragon des Terres d'Orient.

Je le regarde mélanger des herbes et d'autres ingrédients pour en faire une poudre fine. Pendant ce temps, je commence à tracer à l'encre rouge un pentagramme sur le sol. La tâche m'est rendue ardue par la multitude de fissures sur le sol. Je dois user de mes meilleurs souvenirs de cours de cercles Occultes pour modifier la géométrie et l'harmonie de mon dessin sans le rompre. Cette partie est particulièrement difficile. 10 types de motifs différents doivent être incorporés dans mon tracé pour affiner l'intention des pratiquants du rituel et servir à la fois de conducteur et de contrôle de l'énergie. Mes mains tremblent légèrement, mais je m'applique pour que ça ne se ressente pas.

Viennent ensuite les bougies et les bâtons d'encens. 47 bougies, 30 encens, 3 cierges de religion monothéiste, consacrées et baptisées. William s'occupe de les disposer pendant que je passe derrière lui pour les allumer dans un ordre bien précis. Ma concentration est telle que je sens une goutte de sueur me couler le long du visage.

Cette étape nous prend 15 bonnes minutes. Il nous en faut une trentaine de plus pour disposer la poudre de protection que William a faîte, et vérifier notre installation.

L'ambiance de la pièce s'est subtilement modifiée. J'ai chaud. Chose relativement inhabituelle pour mon organisme. Je ne sais pas si c'est la présence de toutes ces bougies dans un espace sans fenêtre, où l'énergie qui se dégage de la faille. Sa couleur s'est légèrement modifiée. Auparavant blanche, elle rougeoie, comme de la braise.

Nous nous rassemblons face à elle. William, Hyacinthe et moi. Aucun de nous ne ressent le besoin d'exprimer ce qui nous agite à ce moment, mais je pense qu'il en est de même pour nous trois. De l'espoir, de la peur, une appréhension teintée d'euphorie. J'ai l'impression que notre réussite est si proche que je pourrais la toucher du doigt.

William s'éclaircit la gorge et sort les parchemins de récitation. Il me tend l'un d'eux. Nous avons chacun notre part de paroles. Il nous faut les partager pour certaines, les dire en chœur pour d'autres, et prendre le relais l'un de l'autre. C'est presque un concert. Ou une pièce de théâtre.

Je rejoins l'autre côté de la pièce, face à William. Hyacinthe se déplace librement entre les différents objets du rituel. Elle est agitée, ça se voit. Ce moment doit lui rappeler des souvenirs affreusement douloureux.

Je prends mon inspiration avant de planter fermement mes pieds dans le sol. La position de William en miroir.

-Prête? Me lance t-il.

Sa voix n'a pas faibli.

-Prête.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant