51ème fragment : Naël

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LXXXII - Fièvre

C'est la première fois que j'invite Loïs à la pension. Sa sœur et Maïa étant retenues à l'Académie, nous nous retrouvons en tête à tête pour attendre Elise. Je soupçonne les deux filles d'avoir trouvé une excuse pour nous laisser tous les deux dans une chambre. Je ne peux pas dire que je leur en veux, mais l'inquiétude pour ma cousine m'empêche de calmer mon esprit et me focaliser sur le plus sexy des deux jumeaux. Désolé Lucy.

Allongé au travers de mon lit, il fait ses devoirs, concentré. Je l'observe du bureau où je fais semblant d'écrire des formules magiques auxquelles je ne comprends rien. A ce rythme je ne vais jamais valider mon année.

-Elle devrait être rentrée, non? Je répète à nouveau en regardant pour la dixième fois en deux minutes ma montre. On aurait dû l'attendre là-bas. Dieu sait ce que ce tordu va lui mettre en tête.

Loïs relève la tête de son livre et me regarde en soupirant.

-Tu ne l'aime vraiment pas, hein?

-Il dégage quelque chose de sinistre. Faîtes confiance à votre ami empathe pour une fois.

-Les empathes peuvent aussi se tromper...

-C'est plus rare. Et je suis un Lecendre. Encore moins de chance que j'ai tort, je rajoute avec un clin d'œil.

Il rit, ce qui me détend. J'abandonne mes livres et mes crayons et je le rejoint sur le lit. Je m'assois au bord, pensif.

- Elise est fragile. Sa mère est morte il y a peu, elle est influençable.

- C'est une grande fille. Laisse la prendre ses propres décisions.

Je grogne. Il a raison, comme toujours.

-Tu es agaçant tu sais?

Il me sourit de toutes ses dents, prend un air innocent.

-Le mot que tu cherches, c'est parfait, non?

Je ris, fais mine de vouloir le repousser. Il attrape ma main et m'attire à lui. Avant que je le réalise, je me retrouve contre lui, nos souffles prêts à se mêler l'un à l'autre. J'ai envie de le goûter, de mêler ma langue à la sienne, mordiller ses lèvres et me coller à son corps brûlant.

Lui aussi, et cette pensée me plonge dans un état d'excitation que je contenait jusque ici. C'est comme si les barrières que je m'impose cédaient toutes d'un coup. Je me sens submergé.

Je sens une main se glisser sous ma chemise, à moins que ce ne soit ma main sous la sienne? Je discerne ses pensées avec précision et n'aie qu'une envie, les laisser me balayer. Je l'embrasse sans douceur, avec la fièvre d'un adolescent bouillonnant d'hormone.

-Hum. Je peux vous laisser si vous préférez.

Je sursaute et me détache de Loïs. Sur le pas de la porte, Elise nous regarde, l'air penaud. Je ne l'ai pas senti arriver. Je tousse, remets mes habits en ordre et jette un regard à Loïs dont la frustration est à peu près équivalente à la mienne.

-Ne dis pas de bêtises. Raconte-nous.

LXXXIII - Confusions

J'écoute Elise sans l'interrompre, ce qui, quelques mauvaises langues vous le diraient, est déjà un exploit pour moi. Les doutes et la ferveur qui l'animent gravitent autour d'elle et je comprends où elle veut en venir avant même qu'elle ne le formule. Je sais que sa décision penche dangereusement vers une option qui ne me plaît pas.

-Rien ne dit que William sait comment s'y prendre pour contrôler la source. Et après, quoi? Qu'est ce qu'il se passera une fois la source débridée et sous votre contrôle? Tu penses vraiment que ça sera mieux que maintenant?

Elle détourne la tête, frustrée.

-Et toi tu penses que c'est mieux de réserver les sciences noires aux familles privilégiées comme nous?

Je claque ma langue contre mon palais.

-Ce n'est même pas ça le problème. Si vous échouez, il se passera quoi? La même chose que la première fois? Je ne tiens pas à recoudre ta tête à ton cou. Tu as pensé au rêve de Maia?

Elle grimace, comme si l'image évoquée était bien trop simple à imaginer.

-Maia ne m'a pas vu décapitée. Et les rêves ne sont que des hypothèses. Je ne suis pas devenu la plus grande fan de William ou des théories du vieux Lecendre. Je dis juste que ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée.

Son inconscience m'énerve. Je me lève et fais les 100 pas. Pendant tout le temps que dure cette conversation, elle regarde par la fenêtre, comme si elle était à moitié absente. Elle me cache quelque chose. Ou du moins elle essaie. Je sens une odeur de fleur séchée tout autour d'elle.

-Elise, il reste encore la possibilité de parler à Mulberry, tente de la raisonner Loïs.

Elle secoue vivement la tête.

-Hors de question. Vous imaginez bien qu'il est complice du gouvernement. Il ment. Tout comme à l'époque, ils avaient menti sur la mort de Hyacinthe. On ne peut décemment pas leur faire con...

Je grogne et me rapproche d'elle si rapidement qu'elle n'a pas le temps de s'écarter. Je lui prends la main et la force à se tourner vers moi. Ma main sur la sienne fait une marque rouge. Sa peau a toujours marqué aussi facilement, même quand nous étions plus jeune.

-Leurs mensonges, soit. Mais ça ne justifie pas ce revirement. D'où te viens ce doute Elise?

Elle grimace. Je la serre un peu plus fort, juste assez pour commencer à lui faire mal, avant de retirer ma main. J'ai vu ce que je voulais voir dans le moment de surprise où elle a baissé sa garde.

-Sérieusement?!

Je n'ai pas besoin d'en dire plus pour qu'elle comprenne que je sais. Elle rougit, balbutie, se ferme en l'espace de quelques secondes.

-Ca ne te regarde pas.

-Vu la connerie monumentale que tu t'apprêtes à faire, pardon, mais si, ça me regarde. Elise, reprends toi! Tu ne peux pas remettre en doute tout ce qui fonctionne ici pour... Pour ça.

-Ca ne fonctionne pas! La source est réveillée, et elle a besoin de s'alimenter! Si ce n'est pas nous qui tentons de l'apprivoiser, elle continuera à se mettre en colère et créer les accidents que nous connaissons. Il n'y a rien d'autre que nous puissions faire, Naël.

-Ca t'arrange bien de penser ça?

Loïs nous regarde, sans bien comprendre toute la conversation, son regard allant d'Elise à moi comme un spectateur d'un match de Rug.

-Ca ne m'arrange pas. C'est la vérité.

-Tu ne cherches pas à aller plus loin. On sait tous les deux pourquoi.

Son regard se fiche dans le mien, et me désarçonne. Elle est en colère. Elise n'est jamais en colère, encore moins après moi. Mais ce n'est pas non plus moi qui joue le rôle du moralisateur en temps normal. Il faut dire que le coup de la tragédie amoureuse avec un fantôme je ne l'avais pas vu venir.

-Ah oui? Et pourquoi Naël, dis moi tout, toi qui sais si bien lire les pensées et les sentiments des autres? Toi qui sait tout mieux que tout le monde et qui sait si bien traiter son prochain?

-Elise...

-Non. Pour une fois j'aimerais qu'on me laisse prendre mes décisions seule.

-Parce que sinon tu te sens oppressée peut-être? Je te bride?

Elle me fusille du regard et s'éloigne, agacée, prend son manteau, ses bottes et me jette un regard froid.

-Des fois je me le demande.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant