Premier fragment - Elise

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I-La mort n'est que la mort

La mort n'est pas une finalité en soi.

C'était ce que la mère d'Elise lui avait toujours répété. Fervente occultiste, professeure émérite de communication avec les défunts et autrice d'une vingtaine d'ouvrage sur l'après-vie, Proserpine Lecendre était pourtant décédée d'une maladie aussi violente que brutale alors que sa fille terminait tout juste ses classes au lycée pour jeunes filles biens nées du 25ème arrondissement de Clerserrat.

Si la nouvelle du décès de cette mère aimante, mais bien trop absente, avait abattu la jeune fille, elle n'en laissa rien paraître, bien consciente que la tragédie de la situation ne trouverait pas de remède dans ses larmes. Enfant déjà, Elise Lecendre ne pleurait pas, se contentant de renifler d'un air mauvais en cas de blessure au corps ou à l'âme. Une enfant silencieuse et calme que se seraient arrachés bien des parents en somme. Elle n'avait pas connu son père, une des nombreuses parcelles du jardin secret de Proserpine, mais n'en avait jamais ressenti le besoin.

La famille Lecendre, bien qu'excentrique et socialement inadaptée à la vie en société, avait largement suffi à combler ses besoins affectifs. Besoins affectifs un peu plus bas que la moyenne si on y regardait au détail. Oncle, tantes et grand-père avaient veillé à ce qu'Elise vive son deuil dans un environnement calme et reculé, afin qu'elle puisse également se concentrer sur son héritage familial.

Parce que le goût de la mort n'était pas seulement la passion de Proserpine. C'était un don, une vocation et un véritable attrait de l'âme.

Dans la famille Lecendre, le don de frayer avec les morts se transmet de mère en fille.



II-Nouveau départ

Le bruit régulier de la pluie contre la fenêtre. La douceur du drap contre la peau nue. L'odeur d'une cheminée éteinte depuis quelques heures et où ne doivent reposer que quelques braises sur un tapis de cendre. L'obscurité, à peine traversée par un rai de lumière lunaire qui réussit à percer le lourd rideau de velours. Une respiration régulière, à peine troublée par un léger ronflement.

J'énumère toutes ces perceptions dans ma tête, dans l'espoir qu'elles me servent à calmer mon cœur qui bat un peu trop vite. Depuis l'enterrement de Proserpine il y a deux semaines, trois jours et 9 heures, mon palpitant a des loupés. Si on y ajoute les soucis de sommeil, c'est comme si le corps essayait d'exprimer ce que l'esprit balayait adroitement sous le tapis. Traître.

Un battement. Un peu de répit. Un décrochage. Qui résonne jusque dans ma gorge.

Chaque nouveau cycle de respiration me fait cet effet désagréable, comme si mon organe cardiaque allait jeter l'éponge, comme s'il était fatigué et complètement détraqué.

La respiration de Naël s'accélère à côté de moi. Bien que je ne puisse le voir dans l'obscurité, je sais que ses sourcils sont légèrement froncés, que ses cheveux bouclés forment comme une couronne sur l'oreiller et qu'il a la mâchoire bien trop serrée pour le bien de sa dentition.

Je le connais par cœur. Malgré nos scolarités séparées, nous nous sommes toujours retrouvés pendant les vacances familiales au manoir familiale. Naël est un cousin, éloigné par le sang, proche par l'affection. Nous avons le même âge, et nous sommes aussi les plus jeunes de la famille Lecendre.

18 ans.

L'année où nous entrons à l'université privée des sciences occultes de Berbridge, la plus importante école de Forzerand.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant