LXIV- Blanche comme neige
Je me fraie un chemin parmi les élèves rassemblés dans la cour. Naël est passé se rafraîchir aux toilettes avec quelques autres de ses camarades. La crise qui a secoué les empathes a laissé quelques dégâts à réparer et nettoyer. Le brouhaha me rappelle le jour de la rentrée, l'excitation et la bonne humeur en moins. Même si, en réalité, il y a une forme d'excitation. Je le vois dans le regard de mes camarades qui essaient de voir ce qui se passe, la hâte et les sourires tordus par une euphorie morbide.
Je ne fais pas attention aux autres, j'ignore même s'ils m'ont suivi. Comme s'ils avaient senti l'évènement, mes trois esprits tournent autour de moi, en parlant si vite que je n'arrive pas à saisir ce qu'ils essaient de me dire. Je finis enfin par déboucher au premier rang, près de la tour. Sur le seuil de la porte ouverte se trouve Mle Loisel. Ou plutôt le corps de Mle Loisel. Il ne me faut pas plus d'une demi-seconde pour comprendre qu'elle ne reviendra jamais. La porte est couverte de sang, et la position du corps me fait penser que la pauvre femme est morte en essayant de fuir. En vain au vu de la mare de sang qui coule sur les pavés jusqu'à notre rassemblement d'élèves.
-Ecartez-vous! Il n'y a rien à voir! Laissez-nous passer!
Henriette Corman nous écarte sans ménagement, suivie par Mme Ortonello, quelques professeurs que je ne connais pas et Mulberry. Ce dernier a l'air hagard, comme si ce qui se déroulait devant ses yeux était l'effet de son imagination. S'il est derrière tout ça, c'est un bon comédien.
Malgré les protestations et les interrogations de mes camarades, Corman nous pousse sans ménagement vers les bâtiments, comme un chien de berger. Ce n'est pas suffisant pour nous convaincre de rentrer, et nous nous contentons de rester à bonne distance pendant que les professeurs penchés sur le corps chuchotent entre eux. J'aperçois M Vian, professeur émérite d'empathie, faire barrage.
Elle est toute blanche
Elle ne l'était pas autant avant
C'est parce que ça l'a vidé de son sang vous croyez? Regarde Elise, elle est pareil que Hyacinthe.
Il me faut quelques secondes pour réaliser ce qu'il vient de me dire. Et puis je le vois. Ca ne m'avait pas sauté aux yeux parce que les deux parties sont proches l'une de l'autre. Le cou de Mle Loisel est tranché. Son corps est couvert de coupures, sa blouse déchirée comme la robe de Hyacinthe. Je déglutis et recule, incapable d'en voir plus. Mon estomac en a déjà vu bien plus qu'il ne peut en supporter.
Maia et Lucy qui me cherchaient me tendent la main et je me réfugie auprès d'elles. Le ciel commence à se couvrir.
Mulberry finit par se relever et se dirige vers nous. Je vois d'autres élèves, un peu plus loin, aux fenêtres ou dans la cour. Le silence est glaçant, si bien que nous n'avons pas besoin de tendre l'oreille pour entendre la voix du directeur.
-Tous les élèves doivent se rendre au réfectoire. Immédiatement. Aucune sortie de l'établissement ne sera tolérée tant que les forces de l'ordre ne seront pas venues sur les lieux. Dépêchez-vous.
Je jette un œil vers les grilles de l'entrée, et une pulsion me donne envie de courir pour les franchir, m'enfuir. Mon cœur bat à toute allure, et je ne peux pas m'empêcher de penser au rêve de Maia.
Ça aurait pu être moi. Ça peut toujours être moi. Je ne bouge pas alors que les élèves se mettent en mouvement. Je suis séparée de Maia et Lucy. Je suis perdue.
Une main se pose sur mon épaule, me sortant de ma torpeur.
-Elise! La clé!
C'est William. Il a l'air pressé, orageux. Ses pupilles ont la taille d'une tête d'aiguille, et son agitation se répercute dans le tremblement de ses mains. Je le regarde sans comprendre, et il reprend, plus bas, me forçant à me pencher vers lui pour l'entendre.
-Il faut remettre la clé à sa place! Sinon ils vont penser que...
Je me sens pâlir et mes jambes vaciller. Dans cet état, impossible de gravir les étages qui mènent au bureau de Mulberry.
-Je... Je ne sais pas si...
-Il faut qu'on la remette maintenant, avant qu'il se rende compte qu'elle a bougé.
Voyant mon état de fébrilité, son regard s'adoucit.
-Va avec les autres. Je m'en occupe. Où est elle?
Je fouille dans ma poche et me rapproche de lui pour la glisser discrètement dans la sienne. Mon cœur bat si fort qu'il l'a sûrement entendu.
-Rejoins les autres, fais comme si de rien n'était. Pas un mot à propos de votre incursion de l'autre soir, ok?
Je hoche la tête, soulagée de le voir prendre les choses en main et le regarde s'éloigner dans la foule, soulagée qu'il se soit rappelé de la clé dans un moment pareil.
LXV - Décharge
Le réfectoire n'est pas un endroit aussi convivial que la pension où nous dormons avec Naël. C'est un endroit propre, fonctionnel, dépourvu de toute fioriture et décorations. Le service est assuré par deux femmes du bourg qui ont toujours l'air de bonne humeur. Mais aujourd'hui, les lieux sont sinistres.
La rumeur s'est répandue comme une traînée de poudre, et même les élèves qui étaient à d'autres endroits de l'Académie, comme la bibliothèque, sont maintenant au courant de la raison pour laquelle une Mme Ortolleno en furie est apparue pour les conduire ici. La salle est bondée, et les derniers arrivés qui continuent d'entrer doivent rester debout. Naël est là, Loïs à ses côtés. Lucy griffonne quelque chose sur un carnet. Maia me jette un regard indéchiffrable. J'ignore si elle m'a vu parler à William ou s'il l'a prévenu de son intention de m'aider, alors je me tais.
Le silence de la découverte du corps est un lointain souvenir, et tout le monde s'agite en attendant que Mulberry vienne nous dire quelque chose, nous explique, nous rassure.
Naël a repris des couleurs, mais il me fixe d'un air inquiet. Il sait ce que je pense, et je n'ai pas besoin de son don pour comprendre qu'il partage mes peurs. L'image du corps mutilé ne sort pas de mon esprit.
-Qu'est ce qu'il attend, marmonne Meghan, une élève de première année en mâchant un chewing-gum de manière compulsive.
-Sûrement d'en avoir fini avec la police, répond Lucy en rangeant son crayon derrière son oreille.
La police est arrivée peu après que nous ayons pénétré dans le réfectoire. Sans sirène ni alarme, trois voitures se sont garées dans la cour de l'école à peine éclairée par les habituels lampadaires.
-Vous pensez que c'est un élève?
-Un fantôme énervé?
-Tu dors en cours depuis toutes ces années? Les fantômes ne peuvent pas tuer des gens. Enfin... Pas frontalement.
-Il y a des cas...
-Bon, c'est fini les complots à deux balles?
-Ma mère dit que...
Les débats se taisent quand Mulberry entre dans la salle. Il est trempé par la pluie battante, ses cheveux sont dans un état pire que d'habitude et sa moustache pointe vers le haut. M Vian et Mme Corman l'accompagnent, dans un état physique proche du sien.
La prise de parole a l'air de coûter au directeur, mais il s'exprime tout de même d'une voix assurée. Derrière lui, les derniers élèves se glissent dans la salle. William est parmi eux, l'air aussi nonchalant que d'habitude, et un poids s'enlève de mes épaules.
-Comme certains parmi vous ont pu le voir, un regrettable accident s'est produit. Je ne vous mentirais pas, Mlle Loisel est décédée. La police est actuellement sur les lieux afin de commencer une enquête. Un agent du gouvernement devrait arriver demain pour approfondir la question.
Son détachement est presque douloureux. La pauvre infirmière méritait mieux que ça.
-Les premières analyses, reprend-il sans tenir compte des murmures angoissés de certains élèves, nous amènent à penser qu'il s'agit d'un...D'un rituel qui aurait mal tourné. Mlle Loisel pratiquait régulièrement de nouvelles expérimentations en vue d'améliorer sa pratique médicale. Nous pensons qu'une décharge d'énergie fantomatique s'est retournée contre elle.
Je me tourne vers Lucy qui grimace. Ça n'a aucun sens. Il est en train de nous mentir.
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Le fantôme de Berbridge
PertualanganElise Lecendre a un don. Comme beaucoup de jeunes adultes de Forzerand, elle possède des capacités que l'on pourrait qualifier d'ésotérique. Accompagnée de son cousin et ami Naël, elle commence ses classes dans la prestigieuse Académie de Berbridge...