40ème fragment : Elise, Hyacinthe

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LXI - Vodka Soda

Je regarde Naël danser avec Loïs. Bien qu'ils ne se connaissent que depuis quelques semaines, les deux garçons semblent en totale communion. J'aimerais que Naël lui laisse une chance.

Ce n'est pas que Naël aime faire du mal aux gens ou jouer aux jolis cœurs. Mais ses facultés d'empathes ne lui facilitent pas la tâche. Imaginez pouvoir entendre les pensées de votre compagne ou votre compagnon? Mesurer à quel point il ou elle n'est pas en phase avec ce que vous pensiez? Pire, comprendre ses mauvaises intentions?

C'est terrifiant. Les chiffres ne sont pas totalement à jour, mais on estime que 4 divorces sur 10 sont des divorces impliquant au moins un empathe dans le couple. C'est ce qui explique aussi que cette branche de la famille Lecendre soit si éclatée. Les parents de Naël se sont séparés jeunes, quelques mois à peine après sa naissance. Autant dire qu'il est particulièrement désabusé par les choses de l'amour. Pour autant, ça ne lui ferait pas de mal de s'ouvrir. Loïs est un chouette garçon, même pour moi qui ne les apprécie pas particulièrement.

-Tu ne danses pas?

William m'interroge en me tendant un verre de soda vodka. Je ne le lui ai pas demandé, mais ça veut dire qu'il a pris soin de regarder ce que je consommais plus tôt.

-Et toi? Déjà fatigué?

Il sourit et s'assit à côté de moi. Les autres sautillent sur une musique que je n'ai jamais entendue en criant des paroles qui ne font aucun sens dans mon esprit.

-Que veux-tu, en troisième année on est déjà un peu vieux et désabusé par la vie.

Sa théâtralité me fait rire.

-Tu ressemble un peu à Naël.

-Ne lui dit pas ça, il risquerait de mal le prendre.

-Il est juste un peu méfiant. C'est un garçon sensible, en plus de ses dons. Il accorde rarement sa confiance aux autres hommes.

-Qui pourrait l'en blâmer après tout? Pas moi, soupire William en buvant une gorgée de sa propre boisson.

Je lui jette un regard en coin. Il a l'air sincère.


LXII - Rendez-vous nocturne

Les ronflements de Naël me sortent du sommeil. Je grimace et tâtonne ma table de nuit pour récupérer mes lunettes. Dans la semi pénombre, je discerne la forme allongée de mon cousin. Il a à peine pris le temps d'enlever ses chaussures avant de s'effondrer, vaincu par son intoxication de la matinée et sa consommation excessive d'alcool du soir. C'est presque un miracle qu'il ait réussi à me suivre jusqu'à la pension et gravir les escaliers.

Un souffle d'air frais me parvient. Il vient de la porte, pourtant fermée. J'hésite, presque certaine de ce que je vais voir si je décide de quitter la chambre. Les trois esprits se sont fait la malle plus tôt dans la soirée, sûrement postés à un endroit plus animé du bourg. Je me lève, enfile mes bottines, ma cape et sort de la chambre.

Je n'allume pas la lumière, je connais les lieux par cœur maintenant et mes pieds me guident sans problème en bas des escaliers. Le salon de la pension où nous prenons nos repas est désert. Les rideaux ne sont pas tirés. Marigold les laisse toujours ouverts, comme si elle se refusait à l'obscurité totale.

-Cette pauvre femme a bien du chagrin.

Je me retourne sans sursaut, confiante. Hyacinthe me regarde du comptoir. Sa présence ici paraît incongrue. Comme si elle n'appartenait qu'au château et ses murs froids et inhospitaliers.

-Que fais-tu ici?

-J'avais envie de te voir.

Il est vrai qu'après la découverte de la source nous n'avons pas beaucoup parlé. Quelque chose me gêne dans l'idée que Naël, Loïs ou qui que ce soit assiste à nos échanges.

Je m'assois sur le canapé.

Elle me rejoint.

Le clair de lune la rend encore plus radieuse, même si je ne sais pas si le mot est vraiment approprié pour décrire son état.

-Quand je suis arrivée à l'Académie, j'avais peu d'amis. C'est difficile parfois, quand on ne colle pas tout à fait aux attentes des autres.

Je hoche la tête, compréhensive.

-Même si c'est souvent nous qui nous sabotons en prêtant aux autres des intentions qu'ils n'ont pas.

-Peut-être. Parfois ce ne sont pas des impressions.

Elle change soudain de sujet, comme si ça la déprimait trop de réfléchir à ce genre de sentiments.

-Je ne suis pas souvent venu au bourg. C'était difficile de s'éloigner du château, mais je l'ai fait!

Je ris, touchée par la candeur et l'innocence de jeune fille qu'elle n'a pas totalement perdu.

-Bravo Hyacinthe. Je sais comme c'est compliqué pour les esprits comme toi.

-Oui, c'est plus simple pour les trois feux-follets qui t'accompagnent. J'envie presque leur liberté.

-Presque. Ils ne sont pas aussi incarnés que toi. Leur esprit pas aussi...

-Affûtée? Adroit? Mature?

-Quelque chose de cet ordre là.

Elle est assise en tailleur, face à moi, et je ressens un besoin irrépressible d'être proche d'elle. Ça me fait peur.

-Parle moi de toi Elise...J'ai envie d'en savoir plus sur la vie au-delà de Berbridge.

Alors, dépassant ce que je ressens, et alors même que ce n'est pas dans mes habitudes, je parle. De tout, de rien, du sérieux et du léger. Je parle jusqu'à ce que l'aube pointe son nez derrière les rideaux.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant