31ème fragment : Elise, Hyacinthe

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XLVII - Frissons

Le stade est désert quand je pénètre à nouveau dans son enceinte. Je n'y avais pas fait attention tout à l'heure, mais la pelouse est dans un état particulièrement déplorable, sèche et brune comme en plein été.

Curieux.
Je sens mes trois esprits s'égayer autour de moi comme de petits animaux en balade. Le vent pénètre mon imperméable que je ressers contre moi. Les lieux paraissaient moins impressionnants quand ils étaient pleins d'étudiants enthousiastes. Ou moins enthousiaste si on prend notre groupe comme référentiel. Je me presse dans les escaliers pour rejoindre les gradins où nous étions installés toute à l'heure. Le silence est vertigineux. Même si le stade est compris dans le terrain qui comporte le château, il en est assez éloigné pour nous préserver des sons de vie de l'Académie. A cet instant, je me sens comme seule au monde.

-La solitude a parfois du bon. Mais elle peut aussi être pesante.

J"ai senti son parfum de fleurs séchées avant même de repérer sa silhouette dans l'angle droit de mon champ de vision. Sur le siège le plus proche d'elle, mon carnet. Je la rejoins, récupère mon sésame et le glisse dans ma poche. Elle observe vers le stade, pensive, et je suis son regard.

-Toujours pas de nouvelles de ma mort prochaine?

-Tu ne vas pas mourir Elise, j'y veillerais personnellement.

La façon dont elle prononce sa sentence et la volonté que j'y sens me donnent presque envie d'y croire.

-J'avoue que le fait de t'apercevoir maintenant me fait un peu craindre le contraire.

-En fait...Je veille un peu sur toi et ton groupe. De loin, parfois en commissionnant d'autres esprits, moins visibles. Je ne veux juste pas t'imposer ma présence.

-Oh... Tu sais, j'ai un trio d'enfants particulièrement malpolis qui me suivent presque en permanence, donc j'ai l'habitude.

Son joli rire s'échappe de ses lèvres trop rouges, et elle fait un signe vers les trois esprits qui nous observent du bas des gradins.

-C'est vrai. J'imagine que c'est un peu comme avoir des petits frères et sœurs particulièrement collants.

-J'imagine aussi... Je n'en ai pas. Enfin, Naël est un peu comme un frère, mais je n'ai pas de fratrie.

-Moi non plus... J'ai vécu une enfance plutôt solitaire.

Avant que je puisse approfondir la question, elle s'éloigne. Je la suis à travers les couloirs de sièges.

-Quelque chose menace l'Académie. Je n'en suis pas totalement sûre, je suis moi-même limitée sur certains aspects. Mais quelque chose de terrible se prépare, au cœur de Berbridge.

Elle me regarde avec intensité et j'avale ma salive douloureusement.

-Tu penses...

-Je pense que c'est lié avec la vision de Miss Ethan. Et je ne sais pas quelle est la meilleure attitude à adopter pour toi. Peut-être que chercher à en savoir plus ne fera que précipiter l'inévitable.

Je me gratte le menton en regardant vers le château dont les tours sont visibles au loin.

-Mulberry est sûrement au courant. Ca expliquerait sa réaction quand il a appris pour le rêve de Maia.

-Il l'est. Il l'est toujours. Mais je ne sais pas si on peut lui faire confiance. Ses intérêts personnels ont toujours passé avant l'école.

Surprise, je la dévisage. Je n'avais jamais remarqué ce grain de beauté sous l'œil gauche.

-Pourquoi tu dis ça?

-Je suis là depuis longtemps. J'étais là quand Mulberry a pris ses fonctions. Ce n'est pas un homme à qui je confierais ma vie. Ni même ma mort, pour le coup. Il a l'assurance d'un homme de son âge. Arrogant et ne laissant personne le désavouer.

Je soupire, désabusée. Me tourner vers une autorité plus compétente et plus adulte a toujours été ma solution de repli. Je n'ai jamais autant regretté Proserpine que tout de suite.

-Alors qu'est ce que je fais ? Si c'est un problème qui dépasse ma simple personne...

Elle hésite encore. Je la sens tiraillée. Elle a les mains jointes contre son ventre, et je repère un détail qui me glace le sang. Les doigts de sa main gauche sont brisés, tordus, comme si une force brutale les avait broyé. Un frisson de dégoût me parcourt, s'ajoutant au froid habituel. J'étais tellement focalisée sur son cou tranché que je n'avais pas remarqué les autres signes de blessure ou d'altération physique. Sa robe est déchirée à plusieurs endroits, dévoilant des bouts de peau blancs comme neige.

-Je dois te montrer quelque chose.

Son ton est résolu cette fois, sa décision est prise.

-Mais pas maintenant. Pas ici. Samedi soir.

-Le soir? Mais...

-Ce sera plus simple de trouver une excuse pour rester au château même si tu n'y dors pas. Il y a encore une soirée. Ce sera une bonne occasion. Éloigne-toi de la foule et je saurais te trouver.

J'acquiesce, n'osant pas la contredire.

-Très bien.

-En attendant, sois prudente s'il te plaît...

-C'est mon genre de l'être Hyacinthe, je n'ai jamais été du genre tête brûlée.

Pour l'instant.

Le fantôme de BerbridgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant