Sédah - La fille cachée d'Hadès - T1

Chapitre 30 - Les fils de mémoire - partie 2

Elles se mirent alors à fabriquer le fil en entrelaçant habilement réalité et mensonge. Le processus commença par restituer le fil de la conversation, avec le souci de ne rien omettre. De la réalité, elles conservèrent le maximum d'éléments et ne tissèrent que ce dont Georgios ne devait pas se souvenir.

— Bien, maintenant, nous allons reconstituer les souvenirs du jeune Céryces. Tu es un enfant du royaume des morts, et je suis une dévoreuse d'ombres. Maddy sera notre point d'ancrage.

Cependant, Sédah fut de nouveau confrontée à une crise de conscience. N'avait-elle pas promis à sa grand-mère de ne jamais altérer la mémoire d'un être humain ? Témoin de la manipulation des souvenirs du chauffeur à l'aéroport, elle en avait été offusquée. Et voilà qu'elle s'apprêtait à franchir une limite qu'elle s'était juré de ne pas dépasser. Un profond malaise l'envahit, et elle refusa brusquement de poursuivre le processus. Ses convictions réaffirmées, elle déclara à Umbra son refus catégorique de continuer. Les enchevêtrements vaporeux qui enveloppaient la dévoreuse d'ombres s'agitèrent, traduisant son impatience.

— Nous ne pouvons pas faire marche arrière, fille d'Hadès.

Ces mots firent tressaillir Sédah. Elle observa immédiatement Maddy, scrutant la moindre de ses réactions. Maddy, cependant, ne montra aucune surprise, la fixant droit dans les yeux avec une sincérité bouleversante. Elle avait compris ce dont son amie avait besoin à cet instant crucial.

— J'irai à l'encontre de toi-même s'il le faut, reprit la dévoreuse d'ombres. C'est dans ton intérêt autant que dans le nôtre. Tu n'es pas prête à affronter ton père ni ses créatures. Tu peux me croire là-dessus ! tonna-t-elle.

Et elle récita ce qui sonna comme une sombre prophétie :

— L'enfant cachée  du royaume du dessous, au dieu ailé ne doit point se montrer. Si trop tôt elle se trouve exposée, l'équilibre du royaume du dessus s'en trouvera menacé !

Sur ces paroles obscures, ressemblant à un glas funeste, la dévoreuse, déjà plus ombre que substance, s'insinua dans l'espace onirique de Georgios. Elle suivait la voie qui lui permettrait de tisser seule la trame de sa mémoire avec les trois fils qu'elles venaient de tresser ensemble.

— Je crois qu'elle a raison ! Tu n'as pas le choix. On doit l'aider. Que se passera-t-il si Georgios parle de ses souvenirs au professeur Thoth ? fit Maddy prudemment, ne voulant pas brusquer son amie.

Sédah réfléchit.

— Si je suis découverte, alors...

Elle n'osa pas achever sa pensée. L'image de son redoutable père lui traversa l'esprit, la faisant frissonner.

— Tu as raison, rejoignons Umbra, se résolut-elle à contre-cœur. J'ai été submergée par des scrupules tout à coup. Je détesterais qu'on me fasse subir la même chose... Merci, Maddy, d'être là.

Cette dernière sourit avec compassion sans rien ajouter. Elle prit la main de Sédah en signe de soutien.

Elles se décidèrent enfin à rejoindre la dévoreuse d'ombres, déjà en train de retisser la trame avec une habileté digne d'Arachné. Umbra avait repris son apparence de créature drapée d'ombres. Elle les observa avec une satisfaction bienveillante, et elles se coordonnèrent pour progresser efficacement dans leur tâche. Umbra, avec sa bouche, avait veillé à lisser la tresse, qui ressemblait désormais à un unique fil. Elle assigna à chacune un rôle spécifique. Maddy était chargée d'ancrer Umbra et Sèdah entre les rêves, tandis que ces deux dernières tissaient ensemble les fils, l'une prenant le fil de trame, l'autre le fil de chaîne. À chaque répétition, leurs gestes gagnaient en dextérité, en coordination et en rapidité. Cependant, alors qu'elles approchaient du terme de leur ouvrage, des vibrations parcoururent les fils. Les premières secousses furent légères, mais elles se transformèrent rapidement en secousses plus fortes, jusqu'à ce que les fils leur échappent finalement. Elles les cherchèrent frénétiquement, mais ils s'étaient mêlés à la trame, laissant leur travail inachevé.