PROLOGUE - Quinze ans plus tôt

498 22 0
                                    

J'étais assise par terre à l'écouter depuis des heures.

Il était là, devant moi, ancré dans son grand fauteuil d'antan, ce trône beige indémodable. Paré sobrement d'une chemise en soie violine, d'un pantalon noir en jersey et de petites chaussures marron clair, son charisme n'avait d'égal que son intelligence et de ses talents d'orateur.

Alors, assise incommodément sur mes petites fesses juvéniles au contact du carrelage froid, je l'écoutais conter ses histoires patiemment, n'ayant que faire des fourmis parcourant mes jambes restées croisées trop longtemps dans la même position. Un sentiment de plénitude m'envahissait.

Chaque soir, je m'abreuvais des douces paroles de ce vieil homme à la retraite à la chevelure grisonnante, et au long nez aquilin. Ses yeux bruns et ses sourcils charbonneux intensifiaient son regard et révélaient une attitude douce et gracieuse. Je prenais plaisir à entendre sa voix apaisante me raconter des kyrielles d'anecdotes de son passé, notamment celles de l'époque où il était enseignant, et j'avais l'impression que mon esprit parcourait la terre entière à ses côtés. J'avais appris beaucoup de choses grâce à lui, ses mots fouillant dans mes songes et lisant en moi comme dans un livre ouvert. Je buvais ainsi ses paroles avec enjouement, ces paroles qui parcouraient mon corps et mon esprit comme des flots animés. Cet homme était mon inspiration, mon modèle. Et j'allais lui ressembler plus que ce que j'aurais pu imaginer.

***

J'avais grandi à la campagne, dans le petit village de Troyes qui ne comptait à l'époque qu'une centaine d'habitants. Un village dans lequel tout le monde se connaissait et s'appréciait. J'avais vécu des premières années heureuses. Mais comme toute petite fille qui se respecte, j'étais en quête d'amour. Quelques années plus tard, juste avant notre entrée au collège, notre maîtresse d'école, Madame Terrimova, s'était accroupie devant mon petit bureau et m'avait demandé : Ma petite Julia, que voudrais-tu devenir plus tard ? Avec mon timbre enfantin, je lui avais répondu ces mots innocents que l'on pouvait entendre de la bouche d'une enfant insouciante qui voyait encore la vie en rose : Je veux devenir princesse !

Ainsi était tissé mon destin : je me voyais emménager dans un immense château aux jardins fleuris à perte de vue, me parer de robes toutes plus colorées les unes que les autres, et passer mon temps à manger, dormir et chanter. Voilà à quoi ma vie devait ressembler. Pas de ménage. Pas de repassage. Pas de courses. Si j'eusse été une adulte, l'on aurait pu me croire atteinte de démence. Toutefois, certaines paroles semblaient beaucoup plus acceptables lorsqu'elles sortaient de la bouche d'une enfant.

Ainsi, j'ai toujours été une grande passionnée de romance. Depuis ma plus tendre enfance, j'avais été habituée à lire des histoires de princesses rêvant d'aventures et attendant leur prince charmant et leur cheval blanc, toisant le ciel à la recherche d'une vie plus captivante. Ces histoires d'amour où les deux amants vivaient heureux pour toujours me faisaient rêver d'éternité. En grandissant, j'avais vite compris que la vie de princesse n'existait pas, et n'existerait jamais. J'avais même fini par intégrer le fait que le prince charmant était en réalité un ogre puant et grossier sur un âne gringalet lui servant de noble destrier, et que l'épée flamboyante n'était nulle autre qu'un pénis ardent, attendant désespérément de pouvoir s'engouffrer dans les abysses féminines.

Ah, il était beau, le prince charmant !

Mais jamais je n'aurais pensé qu'une histoire d'amour telle que celles que je voyais dans les films pouvaient un jour devenir réalité. Seulement, le destin en avait décidé autrement...

OJOS OSCUROS Noir DésirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant