CHAPITRE 17 - Alejandro Garcia Moreno

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"Madame Meyer,

Comme mentionné hier lors de notre entretien, vous accueillerez dès cette après-midi un nouvel élève dans votre classe, du nom d'Alejandro Garcia Moreno. Il a quinze ans, nous vient de Colombie, et sera donc intégré dans la classe de 2nde2. Ne parlant pas encore notre langue, il serait judicieux de votre part de lui préparer des fiches de vocabulaire, afin qu'il puisse tisser ses premiers liens avec ses camarades de classe. Je vous serai également gré de le prendre sous votre aile, au cas où il en verrait le besoin, comme je vous l'ai spécifié.

Alejandro est un élève discret, qui ne parle évidemment pas beaucoup, mais il m'a l'air assez facile à vivre. Je compte sur vous pour veiller à sa bonne intégration dans notre établissement.

Bien cordialement,

Monsieur Giordano."

— Il se fout de ma gueule ! Fulminai-je, assise devant mon ordinateur, dans mon petit appartement. Colombie... J'ai une tête à parler espagnol ?!

Je levai les yeux au ciel, comme si je demandais au bon dieu ce que j'avais bien pu lui faire pour me retrouver dans une telle situation.

D'abord mutée dans un établissement de merde, j'avais du subir des atrocités de la part de certains adolescents. J'avais supporté les regards lubriques et les caresses honteusement dégueulasses du proviseur. Cette mutation m'avait amenée à faire la rencontre de mauvais coups, ce qui m'avait fait perdre des minutes précieuses de ma vie de femme...

Et je devais encore serrer les dents ?

Encore ?

J'suis maudite.

Je parlais plusieurs langues : l'anglais, l'italien, et l'allemand. Et il avait fallu que je tombe sur un colombien. Moi qui avais une sainte horreur de l'espagnol.

Je voyais ces hispaniques comme des goujats sautant sur tout ce qui bougeait, vivant pour et avec la musique, déhanchant leur popotin chaque soir dans des rues aux fréquentations douteuses.

Je voyais les femmes espagnoles comme des chiennes en chaleur qui attendaient désespérément de quoi se mettre sous la dent. L'Espagne : le symbole de la dépravation et de la luxure.

Et selon moi, toutes les autres cultures d'Amérique Latine qui en découlaient faisaient partie de la même race : un cheveu sur la langue lorsqu'ils ouvraient la bouche, des glaires dans la gorge... En somme, des personnages détestables.

Décidément, cette année scolaire était pleine de rebondissements.

Hier, j'avais pris la décision de démissionner, de repartir de zéro, mais mes plans avaient été réduits à néant par ce nouvel élève. Réduits à néant par la pression de ce pervers de Giordano qui avait joué sur mes sentiments. J'en avais la nausée.

— Pourquoi il est pas resté dans son pays, celui-là... Marmonnai-je, comme si je m'adressais à ma propre conscience. J'ai pas que ça à faire que d'enseigner le français à un ado, qui ne doit rien avoir dans la tête, comme tous les autres de son espèce... Il doit sûrement être aussi con que les autres.

Et c'est rien d'le dire !

Une vague de colère s'empara de moi à la vitesse de l'éclair. Je préparai mon sac de cours puis mis ma veste fine afin de me rendre au lycée, pour mon premier cours de la journée qui devait commencer à dix heures, tout cela en marmonnant dans ma barbe comme un vieillard sénile qu'on n'aurait pas laissé passer au passage piéton.

Un tel mail avait eu pour conséquence de me faire bouillir de l'intérieur. Encore une fois, j'étais considérée comme une bonne à tout faire. Un pion. Un maillon dans cette machine infernale qu'était l'État.

OJOS OSCUROS Noir DésirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant