XI - Les voleurs de la réalité

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Deux heures. Deux heures qui rapprochaient un peu plus Jules de la vérité, ou au contraire, de l'incertitude. Un nœud se forma au niveau de sa gorge. Sa perpétuelle série d'interrogations n'était que sur la ligne de départ. Le jeune homme peina à se lever, ankylosé par le poids de ses questions. Il se plaça à la tête du navire de fortune et fusilla l'horizon, à la recherche d'une infime partie de terre ferme. Mais seule une voie lactée océane régnait. Jules ferma les yeux pour mieux sentir l'air caresser les moindres recoins de son visage meurtris par l'impatience. Il laissa son imagination dessiner une île, mais celle-ci fut rapidement à court d'idée. Le jeune homme soupira et balaya sa brève excitation pour laisser rentrer la réalité : il ignorait à quoi pouvait ressembler une île. Il rouvrit alors les yeux et laissa l'horizon se moquer de son désarroi. 

       « Azzula, qu'est-ce que tu me caches ? Pourquoi doit-on te rejoindre ? »

       Son cœur s'emballa. Il serra son poing jusqu'à déposer de nouveaux croissants de lune sur cette pauvre paume victime de stress obsessionnel. Jules lorgna sur la droite et découvrit Clara dans le même état que lui. Son doux minois s'était totalement envolé, déplumé par l'impassible appréhension. Quant à ses yeux, ils luisaient face à la mer et laissaient naître deux gouttes perler discrètement le long de ses joues. Jules, stoïque, ne savait quoi dire. Démuni de solutions, il fixa droit devant lui et fit mine de n'avoir rien vu.

      – Excuse-moi, Jules, réussit-elle à prononcer entre deux fortes inspirations. Je ne sais pas ce qu'il me prend. Je crois que... Que la réalité vient d'exploser à ma gueule.  Jules, je crois que je suis en train de réaliser ce qu'il m'arrive... Ou l'impatience me fait délirer, j'en sais rien. Mais la destruction de l'humanité, notre survie, toi, Clint, les Testeurs. Tout est bien réel. Et je n'arrive pas à comprendre. Pourquoi moi ? Pourquoi je me suis retrouvée là, au beau milieu de nulle part avec deux autres âmes esseulées dans ce putain d'océan qui ne se termine jamais ! 

       Jules refusait de la regarder. Mais il ne pouvait esquiver les grands mouvements de détresse que faisaient Clara, elle qui paraissait si sereine. Sa voix ne chantait plus comme auparavant. Non. Elle crachait des notes atroces, mais emplies de vérité. Elle déchirait le cœur du jeune homme. Il voulait la consoler, la rassurer, mais il s'en avérait incapable. Il n'avait pas la moindre idée de comment sécher les larmes de quelqu'un en quête de soutien. Seule sa lèvre inférieure n'était pas atteinte de paralysie profonde.

       – La réalité, Jules, n'est qu'une putain de bombe qui ne cesse d'exploser. Elle nous dépose un voile sur les yeux. On refuse d'admettre la vérité. On se dit que tout va, que tout est beau. Mais ça n'est qu'un amas de conneries, tout ça. Voilà le vrai visage de cet univers. Dès que la réalité souffle un peu trop fort sur ce voile, elle explose et emporte avec elle tout ce qu'il se trouve sur son passage. Elle a détruit l'humanité, et je ne sais par quel miracle, on a échappé à sa déflagration. Mais merde, Jules ! On sait pas ce qu'on fait et tout va exploser une nouvelle fois. La réalité est meurtrière, et la refuser nous empoisonnera. Jules ! On est condamné à mourir, à survivre, je sais plus, depuis notre premier réveil. Jules !

       À chaque fois que Clara prononçait son prénom, elle quadruplait son intensité et il recevait un coup au plus profond de lui. Ses tripes se tordaient, se broyaient. L'écho des lamentations de la jeune femme résonnait dans sa tête. Il avait l'impression de revivre son dernier cauchemar. La figure de martyr de Clara le hantait. 

       Toutefois, elle avait raison ; il le savait. Ils n'était pas fait pour cette vie. Non. Ils étaient fait pour mourir. Comme tous les autres. Mais quelque chose brûlait en lui. Une braise, ancrée au fin fond de son corps, persistait. Une lueur qui lui imposait de se battre. Cette braise, c'était eux. Clint. Clara. Jules. Et Revival. Les derniers, sans doute, survivants de l'humanité, les derniers flambeaux. Jules, terrorisé, prit son courage entre deux mains. Il osa se tourner vers sa camarade.

REVELUM [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant