XLII - L'ange noir

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      Jules, allongé sur le sol, aux côtés de sa bien-aimée, se sentait heureux. Serein. Apaisé. Il eût l'impression de planer dans un monde de béatitude extrême. Il n'entendit même pas le chahut produit par le pilote : il devait atterrir à cause de la panne d'essence. Le jeune homme était là sans vraiment l'être. Il observait avec dévotion le fragile corps tout ankylosé d'April. Jules, subjugué par la beauté de ses prunelles de cristal, voyagea dans un autre monde. Il se vit nager avec elle, au milieu de l'océan, entourés par une parade de dauphins. Ils étaient libres, au milieu de l'eau. Loin de tous ces événements anéantissant le bonheur. Loin de tous ces instants prônant la peur. Tout à coup, son rêve se brouilla, comme si une pierre avait ricoché sur ce lac enchanté. April déversa une larme dégringolant le long de son délicieux visage.

- Jules, on ne se quitte pas, lâcha-t-elle avec une certaine difficulté. Jamais.

Jules prit sa main avec tendresse, entremêla ses doigts entre les siens, et scella cette union pour l'éternité. Même Hercule n'aurait pu briser ce sceau.

Néanmoins, le vacarme se faisait de plus en plus entendre. Jules revint à la réalité. Il retrouva ces innombrables caisses éparpillées ici et là. Ce rideau l'isolant des autres. Le jeune homme encore ensorcelé par cette douceur envoûtante, sentit ses oreilles se boucher et son cœur se serrer. Jules eût l'atrabilaire sensation que les jérémiades de ses coéquipiers se trouvaient à une centaine de kilomètres. Il se leva avec difficultés et passa une tête à travers le rideau. Les hommes, compressaient dans cet habitacle, baragouinaient tous dans leur barbe. Il aperçut le jeune soldat timide et lui demanda des explications.

      - Nous devons atterrir. On a plus d'essence. T'en as toujours pas trouvé toi ? Georges est furax.

      Jules lui répondit d'un signe de la tête.

      - Je crois qu'on va dormir dehors à la belle étoile...

      L'homme-peureux tourna la tête afin de vérifier qu'aucune oreille malveillante ne rôdait dans les parages. Il se pencha vers celle de Jules et chuchota de manière presque inaudible.

      - J'ai peur du noir. La nuit, j'ai l'impression que les ténèbres me hantent et me dévorent mes rêves. C'est ridicule, mais c'est comme ça. Avant tu sais quoi, j'avais une petite amie. Sasha...

      Il s'arrêta sur ce prénom. Jules remarqua que sa lèvre inférieure bougeait lorsqu'il parlait et lorsqu'il avait prononcé ce nom, celle-ci faisait une véritable danse. Le jeune homme ne savait pas pourquoi il lui racontait tout cela, surtout dans de telles circonstances. Il voulait retrouver April encore quelques secondes, profiter de sa beauté avant que le soleil l'assassine, mais il ne voulait pas faire de la peine à ce jeune dont il ignorait l'identité.

- Elle s'appelait Sasha... Elle rêvait de devenir une princesse, malgré son âge. C'était une fille comme les autres, pleurant devant Dirty Dancing, fantasmant sur Leonardo DiCaprio. Mais elle avait ce petit truc en plus qui m'avait fait craquer.

Le jeune craintif souffla un coup avant de révéler ce petit truc. Ses mains tremblaient, sa voix déraillait. Jules en avait le souffle coupé, ne comprenant pas tout ce que son interlocuteur racontait.

- C'était la première fois que quelqu'un s'intéressait à moi.

Sa résistance avait ses limites. Il s'écroula sur le sol et pleura toutes les larmes de son corps. Rouge écarlate. Jules ne savait quoi faire. Il jeta un regard embarrassé vers l'arrière pour avoir une aide féminine, mais April semblait s'être cachée de nouveau. Stan avait disparu au cœur de cette masse. Tous les autres membres ignorèrent leur collègue. Un d'entre eux le pointa du doigt et lui donna un coup de pied. Sa victime roula, ridiculement.

REVELUM [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant