LI - Bulle de savon

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      - Finalement, se décida Rose, il est préférable qu'on aille se doucher. Vous empestez. Surtout toi April, le sang qui coulait dans le corps sans âme d'Edouard semble pourri.

      La concernée, dépassée par cette nouvelle remarque, serra son poing et le dirigea vers la jeune rousse. Cependant, Rose lui montra subtilement une caméra qui les épiait. April canalisa alors sa rage et se figea. Néanmoins, son regard en disait long.

      La troupe fit alors demi-tour jusqu'aux douches. Jules regarda de nouveau les néons se succéder, les phrases se répéter. Il commençait à prendre ses repères. Le jeune homme quitta le labyrinthe, peu à peu, pour rejoindre un infernal tourniquet. Tout était identique. À chaque virage, il savait à quoi s'attendre. Des murs livides, des carrelages souillés par le temps, des lumières aveuglantes, des portes en veux-tu en voilà.

      Ils pénétrèrent enfin dans les douches. Une centaine de cabines se trouvaient dans la pièce. Tout était dans la démesure ici. Les douches étaient rangées sur deux côtés : une longue allée les séparaient. Il y avait au bout de celle-ci une nuée de lavabos accompagnée de miroirs. Certains d'ailleurs étaient recouverts de buée. Rose mit son doigt sur sa bouche pour demander le silence et tendit l'oreille.

      - C'est bon, il n'y a personne. Mais dépêchez-vous, il y a souvent du trafic par-ici. Tenez.

      Rose ouvrit un placard, à la couleur des murs, et en sortit des serviettes. Et enfin, la jeune femme précisa qu'il n'y avait pas de caméra ici. Elle serra donc son poing et leva son majeur vers le plafond et valsa, tourbillonna dans l'allée en éclatant de rire. Jules ne comprit pas la raison de cet acte, mais ne put s'empêcher de décrocher un sourire. Mais à la vue d'April, il le retira de suite et fit profil bas.

      Jules choisit une cabine au hasard. À sa gauche se trouvait sa bien-aimée et en face Stan et Rose. Il appuya sur la poignée et découvrit un petit espace assez rudimentaire. Il leva les yeux et vit déjà de la buée jaillir de la cabine d'April. Le jeune homme retira son équipement et le posa sur une sorte de panière. Il avança, en tenue d'Adam et se trouva face à une manette et un tube serpenté. Jules activa la manette et de l'eau tiède sortit du tube. Il ne put s'empêcher de pousser un cri de surprise. Le jeune homme se plaça sous l'eau et remarqua que celle-ci devenait de plus en plus chaude et surtout de plus en plus agréable.

      - Enfin un peu de douceur dans ce monde, lâcha-t-il.

      - Nous le méritons, mon petit papillon de l'ombre.

      Jules aurait pu reconnaître cette voix entre mille. Elle appartenait à April. Le jeune homme plaça son corps contre la paroi et sentit sa présence. À ses côtés, il se sentait bien et important. Il était persuadé que sa mission était de protéger sa belle quoi qu'il advienne. Elle était sa raison de vivre, maintenant. Elle était sa boussole, son aiguille lui indiquant le bonheur. Personne ne pouvait la détruire. Même Rose. Avec une boussole, on finit toujours pas se retrouver et échapper aux plus pernicieux des égarements.

      Jules se repositionna sous le flot brûlant et mira les gouttelettes dégringoler tout le long de son corps. Il put apercevoir ses côtes ne demandant qu'à quitter leur prison. Il mangeait très peu. Il fallait que sa mission atteigne son but au plus vite.

     Il prit un flacon se trouvant sur un rebord et put y lire Vanille et Fleur d'Hibiscus. Le jeune homme ouvrit le capuchon et fut ébahi par l'effluve qu'il contenait. Le temps d'un instant, il oublia tous ses problèmes et voyagea dans un autre monde. Il se vit courir dans des champs débordant de fleurs multicolores, entourés par des montagnes bienveillantes. Il arriva à une falaise et plongea dans le vide, fendant l'air, afin d'atterrir dans un lagon aux couleurs exotiques. Il nagea de longues minutes, encerclé par une farandole de dauphins. Machinalement, il mit le liquide du flacon sur son corps et frotta. Jules vit de l'eau noire s'échapper et s'abattre sur le conduit d'évacuation. Une douce odeur pouvait sortir de la cabine et embaumer ce terrible monde dévasté. Cependant, l'effluve s'estompa peu à peu et la réalité refit surface.

REVELUM [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant