LXVI - Le pilori

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      - Regardez-le ! Il se réveille !

Les paupières de Jules frémirent mais restèrent closes. Le jeune homme eût le sentiment de valser sur la frontière de la réalité. Il avait les jambes lourdes, mais quelque chose le retenait debout. Ou alors, il flottait. Jules ne le savait. Il se baignait une nouvelle fois dans l'océan du doute. L'obscurité. La prison des ténèbres. Voilà sa seule vérité.

Une nouvelle preuve fit surface. Quelque chose brûlait ses poignets ainsi que sa nuque. Une matière rugueuse le frottait et le tenait prisonnier. Jules essaya de quitter cette étreinte invisible, mais l'invisible était bien trop fort pour lui. Un tas de mystères tournoyait autour de lui tel une meute d'oiseaux carnassiers. Jules était paralysé. Était-ce uniquement le fruit de son imagination ? Il ne pouvait réfléchir. Jules était prisonnier de bouger, mais aussi de penser.

Des murmures lointains le tressaillaient. Des voix bâillonnées par son état vaseux. Des images traversèrent enfin l'obscurité. La base sans fin, la trahison de Rose, la chasse à l'homme, la horde de Noah, les Taureaux, la disparition d'April et de Stan, Clint et Leen, le coup, le noir complet. Tout lui revint en tête peu à peu. Un goût âpre empoisonnait sa bouche. Du sang. Jules en avait la certitude désormais. Il venait de franchir la frontière du réel : il ouvrit les yeux.

Une lumière éclatante l'aveugla, mais Jules lutta comme un enfant voulant résister à la cruauté des rayons du soleil. Des formes se dessinèrent peu à peu dans son champ de vision. Un amas de visages inconnus monopolisait sa vue. Des hommes et des femmes en blouse blanche le scrutaient du regard et prenaient des notes, pareils à une bête de foire. Jules se demanda comment ils pouvaient avoir un œil rivé sur leurs feuilles et l'autre sur lui.

Les secondes passaient lentement et son esprit se réactivait peu à peu. Jules ne savait où se mettre. Il essaya de s'enfuir, mais sa prison était déterminée à ne pas le lâcher. Le jeune homme opta donc pour plonger dans l'obscurité, mais quelqu'un lui donna un coup dans le thorax. Jules ne put respirer. Des lames de rasoir avaient pris possession de ses poumons. Il rouvrit donc les yeux, contraint de se soumettre à ces inconnus. Toute liberté lui avait été retirée.

Un rire rauque domina l'atmosphère et couvrit les bruits de stylo des inconnus. Jules en chercha la source, mais impossible de la trouver, tapie derrière cette masse d'étrangers. Il pensait un instant qu'il s'agissait de Stan. Sa crédulité lui donnait sans cesse des coups de poignard. Stan était sans doute dans une de ses colonnes d'eau, en train de tenir compagnie à ses amis défunts.

Jules voulait pleurer, mais le réservoir était vide. Un feu ardent brûlait ses yeux. Il tourna la tête et remarqua son poignet droit coincé dans une planche en bois. Son autre poignet aussi. Sa tête, de même. Il gratta sur la matière pour tenter de se libérer. Il libéra seulement un son aussi désagréable que le regard persistant des inconnus.

Courbé. Cette position devenait de plus en plus insoutenable pour le jeune homme. En haut, un néon aveuglant surplombait la pièce. En bas, des goûtes de sang se mêlaient au socle en bois de sa prison. Sur les côtés se trouvaient des cartes affichées sur les murs, des liquides de toutes les couleurs, des assiettes, un canapé, des tableaux, des chaises. Jules ne savait où donner de la tête. Il était dans un fouillis sans nom. Mais le lieu demeurait néanmoins plus rangé, plus organisé que son esprit. Des questions fourmillaient dans tous les sens, encore une fois. Jules ne put trouver une réponse, encore une fois. Il soupira. Une odeur putride -la sienne- était sur le point de l'asphyxier.

- Jules prend peu à peu connaissance.

- Le pilori semble le déstabiliser.

- Il sera prêt dans quelques instants.

REVELUM [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant