LXIX - Le spectateur de l'horreur

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Jules négligea complètement la phrase du soldat. Des coups de feu. Des gardes qui rentraient par dizaine. Des cris. La panique. Jules eût le sentiment de revivre son premier réveil, sauf que cette fois-ci, il n'avait plus April pour le protéger.

     « April. April Segreto. ne cessa-t-il de répéter, inlassablement, dans sa tête. »

Jules la regarda, impuissant. Le temps se figea. Le décor était devenu de la pierre. Elle croupissait sous ses pieds, laissant derrière elle un bagage entier de mystères et de doutes. April s'était désormais métamorphosée en un misérable pissenlit assassiné par le vent. Il était devenu de l'ordre de l'impossible de réunir tous les pétales car le vent avait emporté sur son tumultueux passage son sac à secrets. Il n'avait laissé qu'une April au teint blafard et aux yeux bleus brisés entourée par une mare de sang.

Quelque chose irrita les yeux de Jules. Une escadrille fusilla son estomac. Refusant toute réalité, le jeune homme emprunta le couloir du temps. Il la vit danser sur la cadence de la musique effrénée, il la vit rire aux éclats jusqu'à en avoir mal à la mâchoire, il la vit épouser ses lèvres fougueusement. Aujourd'hui, il la vit sans âme.

Jules se battait pour elle. Elle se battait contre lui.

Son cœur battait pour elle. Le sien ne battait pas pour lui.

April était bel et bien un papillon de l'ombre. Ses ailes battaient pour le pouvoir, la domination et la cruauté. Mais Aaron venait de lui arracher ses ailes. La jeune femme avait perdu à son propre jeu, elle aussi manipulée. Elle qui volait par-dessus la crédulité de Jules. Elle qui avait volé son cœur. Là voilà joncher le sol.

Jules se laissa porter par le pilori. Ses jambes refusaient de tenir debout et d'affronter cette épreuve. Le doute empêcha les larmes de s'évader. Le jeune homme ne parvenait à comprendre la signification de ses derniers clins d'œil. Elle avait un plan pour le sauver. En fin de comptes, avait-elle développé des sentiments pour lui ? Jules hurla. Non de douleur, mais de désespoir. Les larmes explosèrent. L'amour venait de battre le doute.

April était partie définitivement rejoindre les hauteurs des cieux. Jules, lui, était encore prisonnier des entrailles de la terre.

Les coups de feu, de plus en plus proches, ravivèrent les esprits du jeune homme. Rien n'avait bougé. April gisait à ses pieds, tout comme Law un peu plus loin. Les scientifiques se trouvaient dans un coin de la pièce. Aaron, arme à la main, était assis à son bureau, avec son sourire en coin, sa marque de fabrique. Il était entouré d'une myriade de soldats équipés jusqu'aux dents. Ils avaient installé en une fraction de seconde une forteresse de plaques métalliques les protégeant. Le jeune homme ne comprenait pas ce qu'il se passait. Il avait l'impression d'être au cœur du no man's land d'une guerre apocalyptique, à la merci des bras de la Mort.

« Des Testeurs ? Non... Leur sécurité est beaucoup trop forte. »

En séchant ses dernières larmes, Jules repensa au cimetière de Testeurs entourant l'immense base de Revival. Il s'agissait d'autre chose. La gorge du jeune homme se serra un peu plus. Des palpitations lui titillèrent la nuque. Tout à coup, la scientifique au blond polaire hurla des jérémiades incompréhensibles et fonça, apeurée, vers la porte de la Frontière. Personne ne l'empêcha. Elle l'ouvrit et disparut du champ de vision de Jules.

- 10, 9, 8, compta Aaron avec son grand sourire. 7, 6, 5, 4.

Un coup de feu suivi d'un râle insupportable empoisonna la pièce.

- Perdu, lâcha-t-il simplement.

Jules éprouva de la peine pour la scientifique. Aaron avait raison : il était humain. De plus, il paria qu'elle aussi, elle était manipulée depuis le début, qu'elle ne savait rien de tout cela. Aaron avait enclenché des milliers de partie simultanément.

REVELUM [EN REECRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant