Chapitre 24

91 12 1
                                    

A neuf heures, j'ai pris la décision d'aller piquer une tête. J'en avais assez de rester là, à attendre que les choses se passent, et qu'Orlando arrive pour enfin pouvoir parler avec quelqu'un. Le vent était frais, il faisait étonnement beau. Un temps pareil en plein mois de janvier, ça ne risquait pas de se reproduire de sitôt. Alors l'occasion était trop belle pour la laisser filer.

J'avais mis seulement quelques minutes avant de me rendre compte que je n'avais pas de maillot de bain, mais étant donné que Park ne semblait pas être levé, personne n'était là pour me faire remarquer que je n'avais pas la tenue adéquate pour aller me baigner.

J'ai pioché dans ma valise, et je suis tombée sur mon vieux débardeur usé par la machine. Je l'ai enfilé en prenant soin de garder mes sous-vêtements.

En tirant sur la poignée de la baie vitrée un peu rouillée, j'ai été assaillie d'une grande bouffée d'air frais, me faisant involontairement sourire. Quand j'ai débarquée sur le bois du perron, j'ai pris garde à ne pas faire de bruit pour ne pas risquer de réveiller l'homme qui dormait dans la chambre d'à côté. Je me suis arrêtée deux minutes. Juste pour admirer la beauté du paysage qui se trouvait face à moi. Un chemin tracé dans la verdure descendait jusqu'à un ponton sur l'eau. Cet endroit n'était pas si horrible que ça, au final. Certes, ce n'était pas ce que l'on pourrait qualifier de lieu touristique, mais la vue face à moi était belle et bien unique en son genre.

J'ai roulé jusqu'à l'eau, manquant de tomber à deux reprises à cause de ces saletés de cailloux. Le stress m'a envahi lorsque les planches du ponton se sont mises à trembler sous le poids de mon fauteuil. Mais après une profonde inspiration, j'étais parvenue à me focaliser exclusivement sur le son de la végétation qui frissonnait lorsque le vent se montrait plus expressif.

Sans vraiment réfléchir, j'ai poussé sur mes bras, et l'instant d'après, je me suis retrouvée dans l'eau. J'ai éclaté de rire. L'eau était fraiche, bien plus que je ne me l'étais imaginée avant d'y sauter. Mais j'en avais besoin. Alors je me suis mise sur le dos, j'ai fermé les yeux, et j'ai pensé. J'étais là, sur un nuage. Et il était doux, ce nuage ; bien plus que le sable lui-même lorsqu'on enfonce sa main parmi les grains. J'étais dans un nouveau monde. Un monde où mes problèmes n'en étaient plus, un monde où marcher n'était une option pour aucun de nous. Un monde où je retrouvais mon père.

Puis il est arrivé, et il a tout détruit.

- Bordel Mabel, mais t'es complètement tarée !

J'ai ouvert les yeux et je l'ai découvert avec stupéfaction, de l'eau jusqu'aux épaules ainsi qu'un regard tétanisé qui me toisait. Il était entièrement habillé et portait le même tee-shirt que la veille au soir, lorsque l'on s'était croisé dans le couloir.

- Calme toi, qu'est ce qui se passe ?

- J'étais dans ma chambre, et j'ai ouvert les rideaux, et j'ai vu le ponton, et ton fauteuil, et...

- Et tu as cru que je m'étais noyée, c'est ça ? N'ai-je pu m'empêcher de plaisanter.

- Non ! C'est juste que... je ne sais pas... oui, bon, très bien ; oui, j'ai cru un bref instant que tu t'étais noyée.

- Et bien, merci d'être venu à ma rescousse, mais non merci. Regarde, je vais bien. Je lui ai souris, et avant même qu'il ne rétorque, je me suis enfoncée dans l'eau pour y disparaître sans vraiment être certaine de vouloir revenir. J'ai nagé comme ça sur quelques mètres en gardant les yeux ouverts. Quand j'en suis finalement sortie, Park n'avait pas bougé, il me regardait, stupéfait, alors que ses mèches gouttaient sur son nez.

C'est à ce moment que j'ai compris ce à quoi il pensait. Je me suis approchée en gardant mes distances. Sa respiration était saccadée, je voyais sa poitrine en dessous du tissu mouillé qui se soulevait. Alors j'ai commencé :

- C'est la rééducation.

- Pardon ? M'a-t-il demandé, comme s'il ne savait pas de quoi je voulais parler.

- Allez, ne fais pas l'innocent. J'ai compris. On me le demande souvent. Ce n'est pas une honte.

Il m'a simplement répondu par un sourire gêné. Tandis que son regard me demandait de continuer.

- Lorsque je faisais ma rééducation, je passais le plus clair de mon temps dans l'eau. C'est bon pour les membres ainsi que pour le sang. C'est ce que mon kiné ne cessait de me répéter. (J'ai marqué une courte pause). Tout cela n'a pas fonctionné pour moi. Mais dans un sens ça m'a aidé à me sentir mieux, et à m'accepter. Je n'ai pas besoin de mes jambes pour nager. J'ai appris à utiliser toute la force que j'ai dans les bras. Et je m'en sors pas mal, malgré ce que tu as pu penser lorsque l'on s'est rencontré.

Nous avons ris réciproquement.

- Qu'est-ce que tu ressens, quand tu es dans l'eau ?

- Rien. C'est ça qui est bien. Je fais le vide autour de moi, j'oublie tout. Littéralement. Je suis libre. Je vole.

L'eau glissait sur sa peau livide. Il ne me quittait pas des yeux. Son regard envoutant cherchait à lire en moi et je tentais de soutenir son air indéchiffrable. Ne réussissant qu'à mettre fin au silence éloquent en pouffant de rire.

- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai un truc sur le visage ? M'a-t-il questionné de sa moue inquiète.

- Non, c'est juste que, je n'arrive pas à croire que tu aies sauté dans l'eau entièrement habillé.

Il a grimacé en fronçant les sourcils. Et j'ai cru que c'était la fin de sa minute je-suis-de-bonne-humeur.

- Ce n'est vraiment pas drôle, s'est-il défendu tout en m'éclaboussant.

- Oh si, ça l'est. Je lui ai lancé, le regard défiant.

Il s'approchait de moi pour continuer de m'arroser, tandis que je reculais pour pouvoir me tenir à une colonne du ponton, tout en ripostant à ses attaques insistantes. Cela à durer quelques secondes, assez pour que je ne m'épuise et que je décide de quitter mon abri afin de le rejoindre et de le couler comme il se devait. Mais il ne m'a pas laissé faire. Sur ma lancé, il a attrapé mes poignets, et les a tiré sans lésiner, jusqu'à son torse. Il m'aspectait de ses yeux verts plus intensément encore. Il fixait mes lèvres, ne les quittant du regard que pour analyser le reste de mon visage. Il serrait les mâchoires comme il ne l'avait jamais fait auparavant. Et il m'a embrassé. Je n'ai pas fermé les yeux. Mais je ne l'ai pas non plus arrêté. Je ne m'y été pas attendue. Je n'ai pas eu le temps de penser à quoi que ce soit. Les propos qu'il avait tenu dans la semaine m'avaient laissé penser que je n'étais pour lui qu'une moins que rien. Juste une voiture amochée au milieu de sa route, à laquelle il prêtait rarement attention. C'était agréable, mais c'était aussi étrange. Et Park s'en est rendu compte en quittant mes lèvres. Tout comme je ne l'ai pas fait, Byers ne m'a pas regardé dans les yeux. Il s'est simplement contenté de se racler la gorge.

- Tu as froid ? M'a-t-il finalement demandé. En effet, j'avais froid. Il avait dû l'en déduire par mes dents qui claquaient et mes épaules contractées. Oui, j'avais froid. Mais je n'ai pas répondu, estimant que ma chair de poule lui suffirait comme réponse.

- Tu as une serviette ? J'ai hoché la tête, comme une enfant. Mon cerveau repassait en boucle cette scène. Et je mourrais d'envie de lui demander pourquoi. Pourquoi est-ce qu'il avait ça. Les gestes de tendresse ça ne lui ressemblait pas, en tout cas pas au Park que je croyais connaître.

Il est sorti de l'eau le premier, et m'a tendu les deux mains pour m'aider à remonter. Ma surprise a été grande en voyant qu'il n'avait aucun mal à me soulever. Je n'avais décelé aucun signe de faiblesse, aucun visage crispé, rien de plus que des muscles tendus. Le souvenir de moi, ne portant que de simple sous-vêtements en dessous de mon débardeur m'avait totalement échappé. Ce qui m'a mis mal à l'aise une fois hors de l'eau. Mais Park ne semblait pas s'en préoccuper. Il a passé ses mains sur ma taille, a collé son torse contre le mien, avant de me faire asseoir dans mon fauteuil. Puis il a passé la serviette sur mes épaules sans oser me décocher un regard. Il m'a naturellement frotté les bras pour me réchauffer tandis que le haut de mon corps continuait de frissonner. Je réfrénais de rire à cette douce intention qui rendait Park méconnaissable, évitant d'instaurer un malaise plus embarrassant que ce qu'il ne l'était déjà. Alors je me suis contentée de lui murmurer un "merci" qu'il a répondu par un bref sourire, parti aussi vite qu'il était arrivé. Ses mèches caressaient mon front, nos bouches n'étaient qu'à quelques centimètres l'une de l'autre, et je le remerciais secrètement de ne rien tenter cette fois ci.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant