Chapitre 46

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Park n'a pas répliqué, n'y marmonné, n'y laissé échapper un soupir ; étrange venant de sa part. Au lieu de ça, il s'est contenté de m'obéir et de faire tourner le moteur avant d'appuyer sur la pédale.

On a quitté le phare en manquant d'écraser la boite à lettre qui trônait devant la bâtisse. Elle était toute rouillée, personne n'avait dû y poster la moindre lettre depuis des années, certainement par peur que des fossiles en surgissent, nous arrachent une main, et en profitent pour nous sauter à la gorge par la même occasion. En tout cas, c'était l'impression qu'elle offrait.

J'ai cru que ses mains allaient arracher le volant. Park le cramponnait comme si la tête de son manager se trouvait entre ses paumes.

On a emprunté la route principale en faisant crisser les pneus du véhicule. J'aurai voulu engager la discussion, mais je savais pertinemment que c'était une mauvaise idée. Alors je me suis tue. Peut-être qu'il finirait par se calmer. Après tout j'avais tendance à l'agacer. Le moteur ronronnait comme s'il me faisait la leçon. Park n'était plus aussi imperceptible qu'il pouvait le sembler au premier abord. Je ne prétendais pas le connaître, mais je le découvrais chaque jour un peu plus, comme une île qui dévoile chacun de ses recoins aux aventuriers qui daignent s'y intéresser. Oui, Park Byers, chanteur à succès, était une île qui regorgeait de mystères, et je prenais soin de m'attarder sur chaque élément qui l'habitait, m'y approchant toujours d'un peu plus près, dans l'espoir de dévoiler tous ses secrets.

J'ai observé les étoiles à travers le rétroviseur, la nuit n'était pas encore tombée que ces dernières étaient déjà aux aguets. L'espace d'une seconde, on aurait dit qu'elles cherchaient à s'échapper, effrayées par l'aura d'amertume que laissait le chanteur sur son passage.

D'un geste brusque, il a allumé la radio. Sa main tremblait sous son action. Je n'étais pas sûre de l'avoir déjà vu dans un état pareil. Peut-être que si, peut-être qu'il était aussi malheureux que quelques semaines plus tôt, lorsqu'il avait brisé en mille morceaux de nombreuses assiettes. Je me suis sentie responsable. Mais je doutais quant au fait que l'arrivée de Flynn puisse le toucher autant.

Peut-être que ça n'avait rien à voir avec Flynn. Peut-être que c'était juste moi le problème. Rien que moi, et mes cachoteries.

Should I Stay or Should I Go a retentit dans le véhicule. Avant ce moment-là, la musique des Clash ne m'avait jamais paru aussi agressive.

Park a tourné le bouton du volume de façon à ce que nos oreilles aient du mal à le supporter. Mais le vrai supplice dans tout ça, c'était d'écouter les paroles dans un moment aussi tendu que celui-ci.

Byers a pointé son index en direction de l'écran du tableau de bord, sans pour autant quitter la route des yeux.

- Ca. C'est ça. Tout tourne autour de ça ! Il s'est exprimé, réussissant à passer au-dessus de la musique.

Je l'ai questionné du regard tandis que j'observais son doigt qui s'agitait avec colère.

- Cette chanson, cette putain de chanson. La vie réside autour de cette putain de chanson.

J'ai prêté d'avantage attention aux paroles.

- Je la déteste. C'est une énigme insupportable. Est-ce qu'on doit partir, est ce qu'on doit rester. On doit fuir, c'est certain. Mais si tu fuis, tu passes pour un lâche. Personne ne veut être pris pour un lâche.

- Qu'est-ce que tu veux fuir ?

- Mais enfin Mabel, tu ne vois pas ce qui nous entoure ? New York, Sidney, Wheeler, tout ça ce n'est que superficiel. Rien n'est réel. Tout est faux, tout est calculé. Ça t'empoisonne. Ça m'empoisonne. Ça t'abîme, c'est pire que l'alcool. Ça te consume. Et j'en ai assez tu sais, d'être consumé. J'en ai ras le bol.

- Tu ne crois pas que certaines choses en valent la peine ?

- Quoi ? Quelles choses ? Dis-moi ? Regarde autour de toi. Dis-moi une chose qui vaille la peine qu'on reste, qu'on s'attarde dessus ?

- Toi, j'ai répondu instantanément.

- Moi ? Comment ça, moi ? Il ne voyait pas où je voulais en venir, et pourtant, ça semblait si évident.

- Toi. J'aime bien m'attarder sur toi.

Il m'a détaillé de ses yeux verts. Il ne s'y attendait pas. A vrai dire, je ne m'y étais pas préparée non plus.

Park n'a pas répondu. Ses yeux m'ont abandonné pour rejoindre la route.

Lorsque la musique s'est arrêtée, je n'ai pas su mettre de mot sur ce qui se passait dans la tête de ce garçon. Quoi qu'il en soit, il a empoigné le levier de vitesse sous mes yeux éberlués. C'est là que j'ai senti la puissance. C'est là que j'ai compris ce qu'il disait. La vitesse à elle seule traduisait ses paroles mieux que je ne l'avais fait.

Elle m'effrayait cette vitesse, mais je n'ai rien dit. Park avait besoin d'extérioriser certains démons qui envenimaient sa vie. Et je le comprenais.

J'avais beau être cramponnée à mon fauteuil comme si ma vie ne tenait qu'à un fil, je ne voulais pas briser son moment. On y avait tous le droit, et cette tête brune plus particulièrement.

- Je pensais avoir oublier mon quotidien ces derniers jours, tu sais, il a commencé. Mais revoir tout le monde ça m'a ramené sur terre. Il ne faut pas qu'on oublie, on ne peut pas l'oublier, on ne peut pas se le permettre.

Vite, toujours plus vite. Voilà ce qui semblait être la devise de Park Byers. J'ai agrippé le fauteuil, enfonçant mes doigts dans le cuir au point de m'infliger une douleur lancinante. J'ai grimacé. Mon cœur battait la chamade. J'aurai voulu continuer à faire comme si ça m'allait ; bouche fermée, le laisser encore profiter. Mais la sensation m'était insupportable et les larmes me sont montées. J'ai repensé à l'accident. J'ai repensé à Jack, à son visage cristallisé par la peur. A sa main tendre et glacée se resserrant sur la mienne. A sa voix qui chavirait, ses yeux clairs qui abritaient la lumière des phares, à l'incompréhension à laquelle j'avais fait face.

- Park, s'il te plait.

Mais il ne m'a pas écouté.

- Arrête ça, Park.

Le chanteur semblait fixer un point droit devant lui, délaissant par la même occasion, tous ses autres sens. Pourtant, j'ai été frappé par son regard. Il affichait vide, comme si son corps n'était plus habité, comme si son esprit avait pris la décision de faire ses bagages et de laisser tous ces problèmes derrière lui, moi y compris.

C'était en tout cas ce que ma mère avait fait.

« Stop » je continuais d'aboyer, « je t'en supplie ». Park semblait reprendre ses esprits, mais ne mettait pas fin à ce supplice pour autant. Au contraire, il l'envenimait. Ça le brisait lui aussi, il avait franchi la limite. Il ne pouvait plus le supporter, il grimaçait, offrant l'impression qu'il avait perdu le contrôle.

Sans ralentir, le véhicule a foncé dans un virage. Je l'avais averti. Mais Park Byers, ou du moins ce qu'il restait de lui à l'intérieur de ce corps, ne m'avait pas écouté. Un camion a surgi de nul part, klaxonnant en nous apercevant pour tenter de résonner mon conducteur.

- Park ! Je t'en supplie, arrête ça, je t'en supplie. J'ai hurlé continuellement. Les larmes étaient bien là. J'aurai dû le secouer. J'aurai dû attraper le volant. Mais j'étais tétanisée par la peur, encore une fois. 

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant