Chapitre 62

63 11 0
                                    

On a quitté la maison. Depuis la voiture, je lui ai lancé un dernier coup d'oeil, comme pour lui adresser mes adieux tout en la remerciant de ces valeurs que j'y avais retenu, et pour tous ces souvenirs qui m'avaient aidé à tenir le coup, même lorsque nous l'avions quitté pour notre appartement.

Néanmoins je n'étais pas triste. J'avais réussi à franchir l'impossible sans même chercher à l'apprivoiser.

Assis côte à côte sur la banquette arrière, Park me parlait de ses dernières semaines passées au sein du groupe. Il avait mis fin à tout contact avec Betsy. Elle n'avait pas apprécié, et enragée, elle s'était acharnée sur Merle pour finir par le quitter, en emportant avec elle tous les bijoux luxueux que le vieux bonhomme avait pu lui offrir. Quant à Danny, le membre le plus âgé du groupe, lui avait fait sa demande en mariage lors d'un de leur concert à Phoenix, en Arizona. Sa copine lui avait alors répondu non pas par des mots, mais tout bonnement en lui sautant au cou, et la proposition avait fait le tour des réseaux sociaux. Park m'avait confié à quel point il a été soulagé d'apprendre qu'il ne s'apprêtait pas à revivre une semaine de préparatifs comme il en avait vécu à Wheeler. 

Alicia et Orlando, ils me manquaient, et je culpabilisais de ne pas les avoir embrassés avant mon départ. 

Il m'a dit qu'ils allaient bien. Que, avant qu'il ne parte lui aussi à son tour, il avait pris le temps de leur rendre visite.

Je les avais laissés tomber mais ils ne m'en voulaient pas. Alicia disait qu'elle s'y attendait. Que les esprits libres et vifs n'ont pas à être compris, qu'il faut les laissait partir quand il le faut, mais qu'il ne faut pas les oublier pour autant. Ils ne m'oublieraient pas, c'est ce qu'ils avaient dit. Ils avaient lu ma lettre, Park me l'avait confirmé sans même que je ne le lui demande. Mais je lui ai assurée que je ne voulais pas savoir ce qu'ils en pensaient. Ca aurait été trop douloureux.

Puis la voiture s'est arrêtée.

- PJ m'a dit que tu prenais de mes nouvelles par son intermédiaire, mais que tu ne voulais pas que je le sache.

Je n'ai pas répondu.

« PJ, sale balance » j'ai murmuré.

- Pourquoi est-ce que tu n'as pas répondu à mes textos, Mabel ?

- Parce que c'est fini Park, on a quitté Wheeler. On a quitté la plage, on a quitté cette forteresse remplie d'étoiles dans laquelle on s'était enfermée. Aujourd'hui tu peux marcher comme si le monde t'appartenait, tu n'as plus besoin de rester en haut de la tour.

- Mais tu ne t'ai jamais dit que c'est ce que je voulais ? Que ce que je désirais c'était de marcher comme si le monde s'ouvrait à moi, que je ne voulais peut être pas descendre de cette tour qu'on s'est forgé ?

- Ce n'est pas une bonne idée Park.

- Je crois que si, au contraire.

J'ai ouvert la portière pour en sortir. On était arrivé. Le bâtiment qui se dressait devant nous était le mien, et il semblait m'attendre en me faisant les gros yeux. Dans un perpétuel silence et sans que je ne m'y oppose, Park m'a aidé à m'asseoir en insistant pour que le chauffeur ne quitte pas son siège. A la suite de quoi on a gravit les quelques marches pour arriver devant l'entrée principale qui donnait sur les fenêtres. On y était. On y était enfin, à ces au-revoir que je redoutais.

- Je vais partir, Mabel.

Mes yeux accrochés au fin fond des siens, les sourcils froncés par l'incompréhension, j'ai incité Park Byers à m'en dire plus.

- Stray Citizens, la scène, les manipulations, les magouilles, c'est fini pour moi. J'ai assez donné. J'ai parlé au garçons avant de venir. Ils ont dû mal à l'accepter, pour le coup je me suis même disputée avec Abby qui a fini en larmes. Mais ils comprennent, ils me l'ont assurés.

J'avais gardé mes bras croisés, ne sachant pas trop quoi faire de mes doigts.

- Où est-ce que tu irais ?

- Au Costa Rica.

- Les montagnes, les rivières, les forêts tropicales, la végétation luxuriante, tu choisis bien ton endroit, j'ai dit sans paraître convaincu. Oui, son endroit, il l'avait bien choisi. On en avait parlé. En haut de notre tour, je lui avais évoqué sa beauté. Je lui avais dit que là-bas, y faire du parapente revenait à s'envoler au dessus d'un paradis terrien. Peut être le seul qui n'est jamais existé. C'était un pays sans armée, sans guerre, où les paysages sont maîtres et où les étoiles parlent sans anxiété. Jack me l'avait assuré. Là-bas, l'univers vivait en harmonie avec l'humanité.

- J'aimerai que tu viennes avec moi, Mabel Clark. Il a annoncé brutalement.

- Que je vienne ?

- Oui, après tout c'est toi qui le dit ; c'est le paradis sur terre ! Des dizaines de milliers d'animaux, un océan à perte de vue, des paysages à nous couper le souffle. Une sensation de liberté. Cette sensation de liberté; tu sais, celle qu'on a ressenti en haut du phare, je sais qu'on peut la retrouver.

- Park, je ne sais pas...

- Penses à ce que tu as toujours voulu. Il n'y aura plus de chantages, de problèmes d'argents, de Merle sur le dos, je peux te le promettre.

- Je ne peux pas Park, je ne peux pas... j'ai commencé à répéter, la tête toute retournée. (Ma vue se brouillait pour y intégrer des images d'archives du territoire.) On compte sur moi aujourd'hui. Ici j'ai ma mère, j'ai Flynn, et ils m'attendent tous les deux. Je ne peux pas les laisser tomber. Je ne peux pas leur faire ça, je ne peux pas...

- Je pars demain.

J'ai fermé les yeux pour dissimuler mon soupir.

- J'aimerai que tu y réfléchisses. Promets moi que tu y réfléchiras, il a insisté en déliant mes bras pour attraper mes paumes et les serrer dans les siennes.

- Je ne peux Park. Je ne vais pas te le promettre parce que je ne peux pas partir. Je ne peux pas... je ne le peux tout simplement pas.

Il m'a regardé de ses yeux éberlués, ses mâchoires se sont serrés, un rictus amusé a commencé à illuminer son visage, ses narines se sont contractées, et j'ai cru qu'il allait devenir fou. Qu'il allait exploser de rire et repartir dans sa voiture après m'avoir laissé sur le palier sans aucun mot. Mais il ne l'a pas fait. Au lieu de ça, il a attrapé mon visage entre ses doigts fins. Je les voyais, ses pupilles humides qui me regardaient d'une manière extraordinaire. Il ne m'avait encore jamais détaillé de cette façon. Je l'ai fixé de la même manière, une respiration saccadée à la bouche en comprenant ce que ce contact signifiait. Je l'ai laissé presser mes joues avec intensité. Je l'ai laissé m'embrasser avec fougue, parce qu'on savait tous les deux que c'était la dernière fois que l'on se voyait.

Plus personne n'entendrait parler de Park Byers, parce que Park Byers n'avait jamais réellement existé. Il n'était qu'une représentation aussi piètre que faussé. Quant à Park, le vrai Park, il s'en irait en silence sans que personne ne le remarque. Parce que toute l'attention allait être concentré sur son personnage. Toute l'attention, sauf la mienne, qui à ce moment là déjà, savait qu'il la quittait de façon définitive.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant