Chapitre 28

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Le lendemain de la nuit trépidante qui m'avait permis de découvrir que bourré, Park était bien plus sympathique et transparent que lorsqu'il était sobre à marmonner dans sa barbe comme un papi aigri, je me suis levée de bonne heure, de bonne humeur. Je m'étais réveillée avec une envie d'œufs sur le plat. Etrange ; j'avais l'habitude de détester ça -j'étais la seule de la famille à opter pour des petits-déjeunés sucrés-. J'ai roulé jusque dans la cuisine en essayant de me remémorer les paroles de Starman, sans grande réussite malgré mes efforts.

J'ai fini par répondre à mes désirs en un rien de temps, sortant la poêle, les œufs et le bacon séché de leur cachette, un sourire trônant sur mon visage. J'avais l'impression que mon père était là, s'impatientant derrière moi en murmurant au-dessus de mon épaule de me dépêcher car, comme il avait l'habitude de le dire : « Bidounet  –oui, il avait donné un nom à son ventre- était encore plus gourmand que Malone ».

Park s'est pointé quelques minutes après alors que je n'avais pas encore eu le temps de toucher à mon assiette. Sa touffe brune s'agitait sur son visage, retombant à chacune de ses tentatives pour les ranger en arrière. Sa démarche était toujours la même ; un pas devant l'autre en manquant de tomber à chaque fois qu'il posait un pied à terre. Cependant cela ne l'avait pas empêché d'atteindre l'ilot central. Je l'étudiais, sans dire un mot, la tasse de café que j'avais préparé dans les mains, observant les ravages d'une soirée bien arrosée faire son effet sur une personne d'une carrure aussi importante que celle de mon colocataire. Le résultat avait plutôt été... intéressant.

Park a cherché de ses mains chancelantes le dossier de la chaise avant de s'asseoir et de soupirer bruyamment ; les coudes sur la table, et le visage entre des paumes gigantesques. Mes pouces caressant la vieille porcelaine trouvée dans un tiroir, j'attendais une réaction de la part du jeune homme. Alors que je pensais entendre le son de sa voix après qu'il ait enfin daigné montrer ses pupilles, Park a basculé vers moi en s'appuyant sur ses coudes qui, même s'ils n'étaient pas à l'abri de s'écrouler après une nuit bien agitée, optimisés les muscles de ses trapèzes de manière à les mettre en évidence. Puis il s'est décidé à s'approprier, en plissant les paupières sournoisement, l'une de mes tranches de bacon du bout de ses doigts, pour l'enfourner entièrement dans sa bouche.

J'ai levé un sourcil suspicieux, mordant mes lèvres sèches pour refréner l'envie que j'avais de me plaindre et d'exprimer mon étonnement. Mais même avant d'avoir fini d'ingurgiter son premier morceau sous mon regard neutre et pourtant affamé ; Park a répété son action, cette fois ci en prenant soin de faire glisser l'assiette que j'avais patiemment préparer, jusqu'à lui.

- Eh bien voyons, je t'en prie.

- J'ai la dalle, a-t-il déclaré la bouche pleine

- Hey, j'ai passé toute la matinée à baver pour une de ces assiettes !

- Je n'ai rien manger depuis hier, il a continué en ne pouvant s'empêcher d'émettre des gémissements à chaque fois qu'un autre morceau de lard s'apprêtait à pénétrer jusque dans son estomac.

- Moi non plus figure toi, ai-je rétorqué en récupérant ce qui m'était de droit.

Il a grogné et n'a pas cherché à riposter, certainement bien trop fatigué par ces nombreux verres. Par la suite, Park a frotté ses yeux avec violence et a lâché un long soupir qui ne m'était en rien adressé.

Il semblait si résistant, et pourtant, l'alcool l'avait anéanti jusqu'à ne plus le faire tenir sur ses deux jambes. Je l'observais comme on observerait un chien errant ; et je m'en voulais. Parce qu'avoir de la peine pour Park ne me serait d'aucune utilité et ne me faciliterait en rien la vie à ses côtés. De plus s'il l'apprenait, il risquerait de se mettre une colère, ce que je pouvais comprendre. Qui aimerait que l'on s'apitoie sur son sort en énumérant les nombreuses phases de la vie que l'on aurait préféré ne pas ressortir ? Certainement pas moi. Pourtant, c'est ce que j'avais connu toute l'année. Alors oui, je pouvais comprendre. Mais oui, malgré moi, j'avais de la peine pour Park. Pour ce Park qui avait pour habitude de m'agacer, de me blesser.

- Sacrée nuit, hein ? j'ai dit en remuant les lèvres de droite à gauche, cherchant un prétexte pour mettre fin à ce blanc infernal.

- Comment ça ? a-t-il répondu d'une voix étouffée entre ses grandes mains.

C'est alors que pour la deuxième fois en l'espace de quelques minutes, cet air interloqué est venu habiller mon visage.

- Tu ne t'en rappelles pas ?

- Je me souviens juste m'être attardé devant la porte à chercher désespérément un moyen de rentrer. Je devais être sacrément bien bourré, je ne me rappelle même plus m'être glissé sous les draps. Il a rigolé en s'étalant confortablement sur la chaise haute.

- Il faut dire que c'était une sacrée cuite, a-t-il rajouté.

Je n'ai pas répondu, les sourcils froncés, le regard s'attardant sur le couloir, dans lequel, des heures plus tôt, quand la lune avait été au beau fixe, j'avais déambulé, portant un garçon saoul sur mes genoux pour l'amener jusqu'à sa chambre.

- Je devrais me souvenir de quelque chose en particulier ?

Hé bien... c'est à dire que...

1) J'ai donné un sacré coup dans ton genou (sachant que ce n'était pas exactement la cible que j'avais voulu atteindre),

2) A l'aide d'un instrument dont je ne sais même pas jouer,

3)  Parce que je t'ai pris pour un cambrioleur.

4) Je t'ai aidé à marcher comme je l'ai fait avec le cousin de Flynn (même si contrairement à toi, lui portait une couche avec des motos imprimées dessus).

5) Tu as finis sur mes genoux en t'écroulant de tout ton poids,

6) Tu as finis sur mes genoux en t'écroulant de tout ton poids et tu t'ai endormi

7) C'était très humiliant

8) Et très gênant

9) Je t'ai amené dans ta chambre et je t'ai bordé comme le ferait une mère du double de mon âge à son gosse

10) Et pour finir tu m'as dit de belles choses (des choses que je n'avais pas entendus depuis longtemps)

11) Ces belles choses étaient complètements stupides.

12) Même si ces belles choses étaient complètements stupides,

13) Et même si tu étais bourré,

14) Ca m'a fait du bien.

- Non, je me suis contentée de répondre.

J'avais mis quelques secondes avant de rétorquer, prenant le temps de repenser à ce moment, à ces quelques minutes que j'avais passé avec lui.

Quand je l'avais aidé à se mettre au lit, Park m'avait avoué certaines choses invraisemblables. Tellement inimaginables qu'il n'aurait jamais été capable de les sortir sans quelques bons grammes d'alcool dans le sang. Alors j'avais décidé de le croire. Si Park disait qu'il ne se souvenait de rien d'autre, c'est qu'il ne se souvenait de rien d'autre. Et je n'allais certainement pas le contredire. Lui énumérer tout ce qui c'était passé en plus de ses paroles n'aurait fait qu'accroitre ce malaise qui perpétuait entre nous. C'était mieux ainsi, pour moi, comme pour lui.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant