Chapitre 53

102 10 0
                                    

Le stylo prisonnier de mes doigts tapotait nerveusement contre le bout de papier, tandis que je fixais l'horloge murale en y voyant défiler les minutes. Il ne restait plus que deux heures. Deux heures, avant l'arrivée de la mariée devant l'autel, et toujours aucun mot d'inscrit pour mon discours.

Et moi qui pensais que cette partie se révélerait être la plus facile de tout cette précipitation, je m'étais bien trompée ! Et pourtant, encore la veille, j'avais réussi à calmer les nerfs de Park -qui lui aussi, s'était énervé sur sa pauvre feuille-, en lui murmurant les mots qu'il pouvait y cataloguer.

- Tu vois, c'est simple ! J'avais lancé un peu trop sûre de moi.

Sauf qu'aujourd'hui, j'étais celle qui se retenait de chiffonner une fois encore, une autre page de son bloc note. Mes pensées les plus sincères, quant à elles, avaient décidé de m'abandonner à mon triste sort, en compagnie de celui-ci.

Le temps était mon ennemi, ce n'était pas nouveau. Il m'avait pris mes moments de bonheurs, il me prenait maintenant mes mots. Mes mâchoires se serraient pour ensuite relâcher la pression qui les caractérisait, signe de mon impatience. J'avais le pouvoir d'y inscrire ce que je voulais, et pourtant je les gardais prisonniers.

J'aurai pu me lever et m'abstenir du rôle auquel Orlando m'avait demandé de prendre part, mais je ne le pouvais pas, certainement par sympathie pour le personnage. Au lieu de ça, j'ai persévéré, et c'est au bout de longues et interminables minutes que l'encre noir s'est posé sur la feuille d'une gueule hésitante. Je n'étais pas fière de moi, mais rien d'autres que des banalités étaient prêtes à faire leur entrée.

Je me suis dirigée vers la robe qui m'était destinée sans grande excitation. Ma démarche qui s'accompagnait d'une moue embêtée, me rappelait ces fois où Merle m'imposait des tenues légères, que je portais sans la moindre conviction. A la différence que cette fois ci, je l'avais choisi, et que j'en étais plutôt fière. Elle était simple. Elle était longue. Elle était jolie. Elle était rose. Je détestais le rose. Mais elle était jolie.

Sa couleur d'été, à la fois pâle et brute, réchauffait mon teint froid. Elle me tombait sur les pieds pour venir me les chatouiller. Son décolleté était plongeant, mais mon manque de poitrine le rendait inoffensif. On aurait dit un long drap sur lequel on aurait rajouté un voile pour y broder quelques jolies fleurs de la même couleur.

Jack voyait en moi un esprit sauvage. Il disait que cet Univers auquel j'accordais une si grande attention, cet Univers que je passais mon temps à observer, se trouvait aussi en moi. Comme une autre galaxie qui attendrait d'être découverte. Il disait que j'avais un esprit de bohème. Aujourd'hui je pouvais dire que j'avais les membres d'un torturé. Mais l'un n'empêchait pas l'autre. Je continuais de rêver aux étoiles, je rêvais d'atteindre l'infini, je rêvais d'atteindre le fond des océans.

Je voulais être libre. Je l'étais ici. Et si la ville de Wheeler était ce « quelque chose de plus grand » que je recherchais ? Quand il est parti, le seul moyen que j'avais trouvé pour parvenir à m'échapper de mon quotidien c'était en fermant les yeux. Alors je m'allongeais sur mon lit, je clouais mes paupières, et je m'imaginais sur une colline. Une colline où l'herbe n'avait jamais été aussi verte. Avec personne à l'horizon. Juste moi, et les astres qui m'accompagnaient silencieusement. Et debout, les pieds au sol, sur cette colline, je poussais un cri. Le genre de cri que je ne serais jamais capable de pousser. Celui qui, rien qu'en y passant, me fout encore des frissons.

Alicia l'avait vu, cette lueur de liberté qui sommeillait en moi. Elle l'avait vu effrayée, elle qui avait peur de s'enflammer plutôt que de briller comme jamais. Elle disait que c'était pour cela qu'elle m'avait proposé de la prendre. Cette robe serait un moyen de libérer cette pulsion qui m'habitait, rien que pour la soirée. Je ne savais si c'était ses paroles qui m'avaient touché ou tout simplement la beauté de la tenue, mais naturellement, je l'avais accepté.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant