Chapitre 26

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J'avais été stupide, encore une fois. J'avais été stupide de réagir ainsi, j'avais été stupide de croire que Park m'avait embrassé pour autre chose que pour pimenter son séjour dans ce putain d'endroit barbant. Non pas que j'avais ressenti quelque chose quand il l'avait fait, au contraire, j'en étais toujours un peu désorientée, mais ça m'avait étrangement plu, rien de plus.

J'avais changé. J'étais différente, je m'en rendais compte. Parce qu'autre fois, je ne me posais pas autant de questions, et je passais encore moins de temps à essayer d'y répondre la tête plongée au fond d'une baignoire. Mon insouciance me quittait un peu plus chaque minute pour se faire piquer la place par cette crainte que m'avait endoctriné Merle. Si Park m'avait embrassé il y a de ça deux semaines, je n'aurais pas réagi. Je ne serais pas aller lui demander le pourquoi du comment, tout simplement parce que je savais que c'était l'une de ces choses qui ne s'explique pas, que l'on apprécie en silence, que c'était l'une de ces choses que l'on vit «sur le moment» comme il disait. L'une de ces choses à laquelle on ne réfléchit pas. On n'y réfléchit pas, et on agit bêtement, mais on s'en fou, parce que c'est beau, c'est symbolique, c'est sur le moment. A présent, toutes ces questions trônaient au dessus de ma tête comme le ferait une auréole au dessus d'un ange, et je détestais ça.

« Cher Jack,

Aujourd'hui, j'ai changé.

Aujourd'hui j'ai fait une connerie.

Aujourd'hui tu me manques plus que d'habitude. »

J'ai attrapé mon lecteur mp3, j'ai enfoncé mes écouteurs dans les oreilles, et j'ai fait défiler les titres des Eagles au volume maximal. J'ai fini par arrêter de m'entendre réfléchir sur Hotel California.

« Such a lovely place.

Such a lovely face. »

J'ai tapé furtivement les doigts sur mon nombril pendant plusieurs heures, me focalisant seulement sur les paroles des musiques que j'écoutais et sur le raisonnement de cette expérience dont mon bidon était le cobaye. J'avais pris une grande décision ; à partir de maintenant je changerais. Ou plutôt, je redeviendrais celle que j'étais il y a encore quelques semaines. Je redeviendrais la personne que mon père appréciait, que Flynn appréciait, et qui commençait sérieusement à me manquer. J'arrêterai de me poser autant de questions, je m'y obligerais. Mais bien entendu, il était impossible que j'arrête radicalement. Parce que j'étais humaine. Et bien que pour moi, tout être humain est été créé pour profiter de sa vie à fond (évidemment, sinon pourquoi ses jours seraient-ils comptés ?), l'humain avait aussi été mis sur terre pour se poser ce genre de questions existentielles auxquels personne ne pouvait répondre. Pas même Merle. Et je trouvais ça excitant, de ne pas savoir ce qui pourrait arriver le lendemain. De ne pas savoir qu'une simple rencontre, qu'un simple acte pourrait être le déclencheur d'une étape importante de notre vie. En cours, je me surprenais souvent à y penser, à m'imaginer ce que pourrait être la réponse de ces grandes questions. Il m'était arrivé de ne pas en dormir, de m'allonger au dessus des couvertures, les mains derrière la nuque, en observant les étoiles en plastiques fluorescentes qui se trouvaient encore au dessus mon lit quand nous avions quitté la maison. Pourquoi étions-nous là ? Comment ? Comment, avant notre planète, avant notre système solaire, avant l'Univers, tout cela a commencé ? Quelle est l'origine de tout ça ? Dans quel but ? Il y avait bien dû y avoir quelqu'un, quelque chose, qui c'était dit « hey, et si je faisais une partie de lego géant ? ». Mais encore une fois, qui était responsable de ce jeu qui durait depuis maintenant des siècles ? Ces questions n'en finissaient jamais de parcourir mon esprit tandis que leurs réponses restaient inconnues, même pour la bibliothèque de l'état qui n'était qu'un des dizaines d'endroits où j'avais fait mes recherches. Mais cette partie de mystère qui aurait pu agacer certains, me plaisait particulièrement. Peut être bien parce que, c'est ce qu'il y avait de plus fascinant ; aucune certitude ; simplement des théories. Peu importe les avancées technologiques des générations futures, ces énigmes resteront peut-être sans écho jusqu'à la fin de la partie. Et depuis peu, je m'étais rendue compte que mon obsession pour toutes ces questions insolvables empiétait sur ma propre vie. Mais à la différence, mes questions personnelles n'avaient rien d'existentielles.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant