Chapitre 56

104 10 1
                                    

C'était la première fois que je les entendais sortir d'entre ses lèvres. Il les murmurait en faisant en sorte de ne pas les abîmer. Comme si ces paroles renfermaient un butin précieux. Et il l'était, ce butin ; précieux. Elles étaient la clé de sa liberté, la clé d'un bonheur auquel on ne pouvait pas mettre un terme. Clay Pigeons.

Alors je l'ai écouté, silencieusement, admirant ses lèvres qui s'entrechoquaient pour former ces mots. On flottait. On avait quitté le sable pour se retrouver dans les étoiles. Elles nous portaient, elles nous parlaient. Il était temps, elles qui s'étaient montrées si timide pendant toutes ces années, ne sortant que la nuit, à l'abri des lumières pour se contenter de nous observer, se mettaient maintenant à danser pour nous offrir un spectacle divin.

On flottait. On avait quitté le sable pour se retrouver dans les étoiles, et voilà que la sonnerie du téléphone de Park nous a fait redescendre.

J'ai machinalement attrapé son cellulaire, posé à plat entre nos deux têtes, et j'ai mis un moment avant de réussir à décrypter ce qui était affiché sur l'écran principal. Un message. De Betsy.

« Des semaines que j'attends ton appel. Je peux te rejoindre ce soir si tu me dis où tu es ;). J'attends ta réponse bébé ».

- Elle sort d'où cette fille au juste ? J'ai demandé le sourire aux lèvres, sans trop savoir pourquoi.

- Qui ça ?

- Cette nana que tu voyais sur New York, Betsy-gros-nichons. Bon sang ce qu'elle a de gros nichons !

Je lui ai tendu le téléphone pour qu'il réceptionne son message.

- C'est la copine de Merle.

- Tu sautes la copine de ton patron ?

- Parfois même sa fille.

- Tu déconnes ?

- Bien-sûr que je déconne. Quoi que, ça ne serait tarder. Douze ans c'est l'âge où ton corps commence à se former. Sa blague lui avait valu de ma part, un coup de poing sur la poitrine.

- Non, plus sérieusement, il m'arrive d'appeler Betsy ; quand il m'agace ou parfois même quand je sens que j'ai besoin d'un peu de compagnie.

J'ai laissé la brise répondre à ma place.

- On ne devrait pas être ensemble Park, tu le sais ça ? J'ai fini par lancer.

- Arrête un peu.

- T'es un peu comme l'huile, et moi le vinaigre.

- Quoi ?

- On ne se mélange pas.

- Mais on est bon ensemble.

- Mais on ne se mélange pas.

- Pourquoi ce serait toi le vinaigre ?

- Tu veux être le vinaigre ?

- Je veux être le vinaigre.

- Alors je suis un peu comme l'huile, et toi le vinaigre.

- On est complètement défoncés pas vrai ?

- Assurément.

J'ai regardé la mer qui se déchaînait, et j'ai pensé qu'on devrait lui jeter un de nos brownies.

- C'est à cause de Betsy ? m'a demandé un jeune homme qui paraissait préoccupé, avant de se redresser contre la dune à laquelle on s'était adossés.

- Non, du tout.

- Alors pourquoi ?

Je n'ai pas tout de suite répondu. J'ai attrapé le téléphone de Park et j'ai accédé à la lecture aléatoire de sa playlist, pour redécouvrir avec joie, Ripple de Grateful Dead. Alors j'ai pensé à America Beauty, aux folles années 70, aux concerts auxquels ils avaient chantés, à cette foule en délire qui ne songeait qu'à l'amour, à la pureté ; celle des corps, celle de la terre, à ces baisers échangés, à ces larmes versées, à cette société de consommation qui la faisait rager, à cette vie de famille qui la faisait vomir, et à cette communauté qu'elle avait formée. Des foules, par centaines. Par milliers. Des foules de fleurs qui ne voulaient que s'exprimer.

- Parce qu'on est né à la mauvaise époque, Byers.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant