On m'a toujours dit que le mal de crâne n'arrivait que le lendemain. Ou en tout cas, c'est ce que je pouvais constater lorsque je débarquais chez Flynn en fin de matinée, et que Karl se réveillait après une courte nuit en insultant toute sa famille. Lorsque l'on débutait la journée avec une gueule de bois mortelle, c'était à ce moment-là que la sensation émergeait, qu'elle se rependait sur toute l'extrémité de la tête. Cette sensation d'explosion, de feu d'artifice. C'est comme si l'on pouvait ressentir chaque fusée du 4 juillet sans même les entendre. Mais ce n'était rien que des conneries. Parce que si ces pétards-là existaient bien, ils avaient pris feu à l'instant même où j'avais porté mon troisième verre à mes lèvres.
La douleur était là. Je pouvais la sentir, appuyant avec détermination sur chacune de mes zones nerveuses comme sur le buzzer d'une émission de télévision produite par Fox. Cette pensée est restée une bonne dizaine de secondes dans ma tête, jusqu'à ce que je me rende compte que je souriais bêtement tandis que Cyrus me contemplait, perplexe. Alors j'ai laissé le rictus repeindre mon visage. Il m'a demandé ce à quoi je pouvais bien penser. Je lui ai répondu que je ne pensais à rien, à rien du tout, préférant éviter toute discussion qui dévoilerait mon élocution déplorable, découverte quelques minutes plus tôt avec Stan lors d'un débat enflammé sur l'arrivé de Carlos Torres en tant que nouveau lanceur dans l'équipe des Metz. Stan voulait le voir rester chez les Rockies du Colorado ; son équipe favorite, tandis que je me réjouissais de son affluence chez les New Yorkais. A court d'arguments après plusieurs minutes d'objection, le bon vieux Stan avait fini par déclarer forfait et me proclamer gagnante.
Elle avait beau être amer, elle n'en était pas moins agréable, cette douleur.
Je m'y familiarisais doucement, la trouvant presque rassurante. Je m'étonnais même à en apprécier sa présence. Je l'associais à un rappel implicite pour me punir d'avoir passé autant de temps à cogiter, théoriser, répéter, et à approfondir sur ce que je savais être une perte de temps.
Le bruit assourdissant des enceintes intensifiait ce doux supplice.
La musique résonnait dans ma tête. Une musique dont les basses tambourinaient à mes oreilles. J'avais beau avoir mal, j'en voulais plus. Toujours plus.
C'était comme si chacune de ces notes me traversaient le corps, comme si elles se mettaient à parcourir mes veines. Ou bien qu'elles venaient à se poser sur ma peau, comme des tatouages, pour m'imprégner de leur puissance, du bonheur qu'elles inspiraient. Toujours plus.
La douleur était là, mais j'étais bien. J'étais bien parce que plus rien ne m'occupait l'esprit désormais. Ma tête tanguait, les secousses étaient violentes. Entourée d'ivrognes, j'en étais devenue une. Juste le temps d'une nuit.
Ce soir-là, les musiques ont défilé, tout comme les verres de scotch et les bouteilles de bière. Joe et ses amis m'accompagnaient, tandis que Park restait dans son coin. Seul. Ils avaient pourtant essayé de le mêler à l'ambiance, mais ce dernier refusait toujours poliment, plongé dans des pensées que même bourrée, j'aurais aimé embrasser. Juste pour voir ce qu'il se passait dans cette jolie tête brune.
Je me souviens avoir dansé une bonne partie de la nuit, faisant tournoyer mes roues dans tous les sens, en rythme avec la mélodie, comme avant. Les crampes crispaient de temps à autre mon visage, mais je persistais. La fête avait un prix que je comptais bien payer.
Et puis I will Follow est arrivée, et c'est là que tout a commencé.
C'est là que je me suis élevée dans les airs, portée par la dizaine d'hommes qui m'encerclaient quelques secondes plus tôt. C'est là que j'ai chanté. Que j'ai chanté faux.
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LIGHT HOUSE
Novela JuvenilVenez découvrir l'histoire de Mabel Clark; une jeune fille passionnée par l'Univers et ses mystères qui, après un événement bouleversant, n'a qu'une hâte; sortir de son fauteuil roulant. Sans même qu'elle ne s'y attende, la jolie b...