Chapitre 51

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  Un avant-goût de Noël régnait sur la petite ville de Wheeler. Non pas à cause de son temps pluvieux, ça non, voilà près d'une semaine que nos routes n'avaient pas croisé un seul nuage. Mais bien parce qu'un cadeau nous attendait au pied du phare. Park s'était rué de ses pieds nus sur les cailloux qui ornaient la façade, avant de se jeter dans les bras d'Orlando. Lui qui disait ne pas l'apprécier plus que ça, on aurait dit que leur relation avait pris un nouveau tournant, comme un vieux couple qui aurait décidé de se réconcilier après une dispute silencieuse que jamais aucun d'eux n'avaient vraiment pris le temps d'officialiser.

J'ai fini par les rejoindre, admirant d'un regard amoureux le présent qui nous avait été apporté.

Elle était là, sous nos yeux, à attendre tout sourire que nous nous jetions dedans pour prendre la route et partir loin, le plus loin possible. Vers l'Europe, vers l'Afrique.

Je me suis demandée si Merle était aussi mauvais qu'il prétendait l'être, mais j'ai aussitôt secoué la tête. Après tout il nous la devait bien, cette Wrangler Jeep tout droit sortie des réserves africaines.

J'ai observé Park et son regard d'enfant. J'aurai voulu lui demander qu'on parte maintenant. Qu'on parte tout de suite, à la recherche de l'Univers et de ses mystères. Mais on ne le pouvait pas. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'on était bloqués. Enchaînés à ces conditions que nous avions signé chacun de notre côté, et qui se révélaient être le Saint Graal d'une vie future. Pour ma mère. Pas pour moi. Alors je me suis contentée de lui adresser un sourire.

Ce n'était peut-être pas à l'autre bout du monde que notre nouvelle voiture allait nous conduire, mais bien chez Orlando. Juste après nous avoir observé balancer une douzaine d'insultes qui traduisait notre surprise quant au jouet qui se trouvait en face de nous, notre guide de la ville avait eu la bonne idée de nous inviter à dîner.

- Il est hors de question qu'on y aille, avait alors annoncé Park lorsqu'Orlando avait tourné le dos.

Et c'est ainsi que, deux jours plus tard, Park et moi nous sommes retrouvés en voiture pour nous rendre à l'adresse qu'il nous avait indiqué.

Les paroles de Spanish Bombs résonnaient dans nos oreilles. Park s'est assis sur le siège conducteur avec une mine boudeuse, mais à peine avait-il entendu les Clash que son visage s'était illuminé, me rejoignant sur le rythme de la musique.

La maison d'Orlando se trouvait à la frontière de la ville, longeant elle aussi la mer tout en y étant à ses pieds.

Elle était jolie. On aurait dit l'un de ces cottages écossais, entourés de fleurs aux couleurs vives ainsi que de leur doux et envoutant parfum. Elle avait une odeur de printemps, cette maison, en plus de la brume salée qui s'y mariait parfaitement.

Alicia était là. Orlando nous l'avait bien fait savoir en nous mentionnant son prénom une bonne dizaine de fois, la veille, lorsqu'il nous avait rendu visite pour nous déposer nos courses et s'assurer que nous serions bien présents le lendemain.

- Elle meurt d'envie d'apprendre à vous connaitre, avait-il argumenté d'un ton enjoué.

Alors c'était sans grande surprise que je l'ai découverte lorsque la porte s'est ouverte. Elle se tenait devant nous, accoutrée d'une robe couleur sapin qui mettait en valeur sa jolie silhouette. Silhouette, qu'elle s'est d'ailleurs empressée de coller à nos poitrines pour nous prendre dans ses bras.

Orlando se tenait juste derrière, semblant admirer ce beau portrait de famille plutôt soudain.

C'est en restant silencieux que l'on s'est assis autour de la table, Park et moi-même.

Alicia avait pris le temps de préparer une dinde, et à peine avait-on pu voir sa couleur que Orlando chantait déjà ses louanges. En remerciement, son âme sœur avait chatouillé son nez contre le sien.

- Je ne sais pas ce qui me répugne le plus, m'avait soufflé Park. La décoration de la maison, ou cette démonstration d'affection.

Park Byers avait raison sur un point ; la décoration de l'endroit était pour le moins étrange. L'extérieur avait beau être charmant, son contenant était bien différent.

Dans le salon, des guirlandes de réveillon ornaient les murs, faisant de l'ombre à de magnifiques photographies de baies anglaises que notre hôte avait pris soin d'accrocher. Au plafond, une boule à facette tournait continuellement sur elle-même, allant jusqu'à absorber mon attention pour me pousser à compter ses rondes. J'étais arrivée jusqu'à quatre-vingt quatre avant que Park ne finisse par me distraire.

Hormis le fait que notre guide semblait vivre dans une continuelle fête du nouvel an, je trouvais ça plutôt cool.

Orlando était quelqu'un d'extraverti, d'adorable, et de drôle, surtout en son plein-grès rien que par les chemises qu'il portait. La banalité d'une maison bien rangée, tapissée de couleurs fades et d'une pauvre cheminée qui ne reflétait pas un esprit festif m'aurait déçu. Alors non, la décoration de la maison n'était certainement pas la chose la plus répugnante que j'avais vu de la soirée.

En revanche, j'avais dégluti plus d'une fois lorsqu'Alicia nous avait fait un remake de sa vie de famille avec son ex-mari, allant même jusqu'à nous détailler le déroulement de l'un de ses accouchements ; le premier.

- J'ai eu peur de me faire dessus. Vous savez, beaucoup de femmes se font dessus en accouchant. Je n'ai pas arrêté de demander à Franck si autre chose que le bébé sortait là dessous ! Puis elle s'est approchée doucement comme pour nous confier un secret : pour ne rien vous cacher, c'est arrivé la deuxième fois. Il faut dire que la deuxième de mes filles n'était pas un petit bébé à l'époque !

Cinq filles. Cinq, et magnifiques jeunes filles que l'âme sœur d'Orlando, rencontrée sur internet, avait pris le temps de nous décrire, ajoutant à ça de jolies photos que Park ne s'est pas gêné de siffler. J'en ai ri.

Il faut dire que les jeunes femmes, toutes fiancées, n'avaient rien à envier aux formes de leur mère.

Et c'est en passant au dessert, tandis que Park et moi étions en pleine discussion, à débattre sur qui de nous deux était aller à plus de concerts, citant les noms des groupes de manière nonchalante, qu'Orlando s'est imposé. Un ange est passé alors que nous attendions que notre hôte prononce un mot. Au lieu de ça, il a attrapé les mains de sa compagne, et nous a fixé en tentant de reproduire le mouvement de mâchoires que Park faisait si bien. Finalement c'est Alicia qui a pris la parole.

- Orlando chéri et moi, nous allons nous marier. Ce week end.

Les yeux ronds, j'ai jeté un coup d'œil à Park en espérant qu'il puisse réagir à ma place. Mais son regard semblait aussi étonné que le mien. Et puis il s'est empiré. Byers a recraché l'eau qu'il avait dans la bouche et s'est mis à rire à chaudes larmes. Je n'ai pas osé le rejoindre. Pourtant, ce n'était pas l'envie qui m'en manquait.

- Mais... Ce n'est pas un peu trop tôt ? J'ai osé demander.

- Il n'est jamais trop tôt pour s'aimer. A ajouté Orlando

J'ai dégluti, et j'en ai voulu à Park de me laisser tomber sur ce coup-là. Cependant, les deux amoureux semblaient totalement ignorer les éclats de mon ami.

- Et ce n'est pas tout, a renchérit Alicia. On aimerait que ce soit vous, qui nous mariez.

Cette fois ci, les rires de Park ont cessé. Il n'était plus question de rigoler.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant