Chapitre 32

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Park me parlait. Mais je n'écoutais pas. Je ne voulais pas écouter. Parce que je savais que même un garçon comme lui, perturbateur et joueur, me dirait d'y aller mollo sur la boisson. J'aurai dû y aller mollo. Mais je n'en avais pas envie. Toute ma vie j'y étais allée mollo. Et pourtant Dieu sait que je voulais l'envoyer se faire foutre ce « mollo ». Je ne rêvais que d'action, de liberté. Et c'est ce que l'univers m'offrait. Parce l'infini nous garantit la possibilité d'aller toujours plus loin. Toujours plus loin dans sa réflexion, toujours plus loin dans ses théories. Toujours plus loin dans les étoiles. Et c'est ce qui me faisait frémir. Pouvoir me mettre sur le toit, observer les lumières qui scintillaient dans un ciel dénué de couleur, et écouter de la musique qui le rendrait encore plus beau. Alors oui, je me contentais de l'Univers.

Je n'ai pas pu empêcher la voix grave et brisée du propriétaire de m'émerger de pensées que j'aurai bien voulu voir s'élever devant moi.

J'ai fait volte-face. Le vieil homme m'azimutait, une main dans la poche de son jean abîmé, une autre cramponnée à une bouteille.

- Ca faisait longtemps que je n'avais pas vu un petit bout de femme comme vous se faire plaisir comme ça. A part peut être ma Nelly, mais tout le monde sait qu'elle est née avec plus d'alcool dans le corps que de sang, c'est d'ailleurs pour ça que j'ai épousé sa mère, tiens. 

D'un écho commun, les clients du pub se sont esclaffés jusqu'à, pour certains, s'étouffer, recrachant quelques gouttes de leur boisson. Je suis restée passive, et j'ai attendu qu'il continue. Au lieu de ça il s'est avancé vers le bar et a sifflé son employé qui s'est retourné aussitôt.

- Tu serviras un verre de scotch à tout le monde quand je te le demanderai, a-t-il chuchoté.

Mais Cyrus n'a pas semblé réceptif, et a soupiré profondément d'un air agacé.

- Arrête Joe, ne fais pas ça tu veux, demain tu vas encore me demander la recette de la soirée et comme tu te seras tellement éclaté la gueule la veille, et que t'auras à peine dessaoulé, tu ne vas te souvenir de rien et me virer une nouvelle fois en prétextant que je suis « un enculé de voleur ».

Joe l'a observé comme il l'avait fait quelques minutes plutôt avec moi, semblant cette fois ci, adopter un regard plus menaçant.

- Tu es un enculé, c'est un fait. Combien de fois je t'ai viré déjà ?

- Quatre fois Joe, quatre fois.

- Alors si tu ne veux pas que je te remette à la porte il vaudrait mieux pour toi que tu fasses ce que je te dis gamin.

- Tu sais très bien qu'à part moi personne ne veut travailler dans ce trou à rats.

- Pssst. Contente toi de servir tout le monde, a fini Joe, balayant de la main la conversation comme si elle s'était métamorphosée en une vulgaire mouche.

Le serveur a soupiré derrière son bar avant de s'exécuter, ne pouvant rien faire contre les décisions de son employeur.

Quant à moi j'observais la scène, tout en sachant qu'aucune expression ne s'affichait sur mon visage. Je ne pensais pas. Du moins j'essayais.

Joe a attrapé une bouteille dissimulée sous la table qu'il venait de contourner, pour remplacer celle désormais vide. D'une main vive, il l'a ouverte, ignorant l'attention dépitée que Cyrus lui portait. Puis le vieil homme s'est de nouveau intéressé à moi, m'a adressé un sourire qui se voulait rassurant, et s'est gratté la gorge avant d'hisser le litre de scotch au-dessus de sa tête.

- Ce soir je voudrais porter un toast à une petite nouvelle, s'est mis à crier Joe, attirant une nouvelle fois le regard de tous.

- Vas-y petit, sers-leur le verre, a-t-il chuchoté furtivement à son barman.

Cyrus, ayant déjà achevé la première partie de sa tâche, servi aussitôt les clients de l'établissement qui, par le nombre de fidèles qui s'y trouvait, semblait être assez populaire dans la région.

Les intéressés criaient comme des bêtes en signe de remerciement, me donnant l'impression d'être entourée par des animaux qui hurlent à la mort.

- Joe, t'es un sacré fils de chien mais je t'aime ! a aboyé l'un deux.

- Comme je le disais, a repris celui sur lequel tous les regards s'étaient posés, j'aimerai porter un toast à un nouveau membre du bar, certainement l'une des plus charmante qui sois, celle grâce à qui j'offre ma tournée. Tout en prononçant son discours, les yeux de Joe exploraient peu à peu les mieux, me laissant on ne peut plus perplexe. Mais je m'étais interdite d'approfondir quelque réflexion. Alors j'ai attrapé mon troisième verre de scotch, et j'ai observé le liquide qui tentait de se stabiliser après les quelques secousses que j'avais provoqué.

- Alors à Mabel !

- A Mabel ! ont continué les clients en levant leur verre.

Etrangement, le son de leur voix semblait tout de suite plus chaleureux.

J'ai tourné la tête, ne croyant pas avoir entendu la voix de Park.

Ses yeux n'étaient pas là. Ses yeux ne s'intéressaient pas aux miens. Mon regard s'était alors retrouvé face à un miroir qui ne reflétait pas mon si petit visage.

J'étais partagée entre désolation et réconfort. Parce que je savais que si ses yeux se plongeaient dans les miens, je n'en sortirai pas. Je recommencerai à réfléchir, et j'arrêterai ce que je m'apprêtais à entreprendre.

- Réfléchis à ce que tu fais Mabel. Mon cœur a manqué un battement. Ses yeux vides fixaient un point qu'il m'était impossible de définir. J'ai pensé à ma mère. A ce point invisible qu'elle avait adopté.

- Je n'ai pas envie de réfléchir. Pas ce soir. Plus jamais. J'ai répondu d'une voix chancelante. Les larmes me montaient aux yeux, et je me suis reprise aussitôt, avec la décision pénible qu'était celle de laisser Park de côté. Rien qu'une fois.

J'ai porté la boisson à mes lèvres, et j'ai laissé son goût amer prendre possession de moi. Joe s'est penché vers moi, pour me chuchoter quelques mots à l'oreille.

- Je ne sais pas ce qui t'arrive ma petite, mais je t'aime bien comme ça.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant