Chapitre 60

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J'étais passée devant leur chambre sans y jeter le moindre coup d'œil. Bizarrement, elle me foutait les jetons ; elle l'avait toujours fait. Ma mère n'avait jamais voulu que j'y mette les pieds. Même lorsque je tombais malade, j'attendais généralement le lendemain matin, que mes parents viennent me réveiller pour pouvoir pleurer dans leur bras. Oui, cette pièce, aussi banale qu'elle soit, me terrifiait depuis mon plus jeune âge. Elle était immense, elle était sombre ; à chaque fois que j'osais y passer ma tête, je la découvrais, les volets fermés -même en pleine journée-. Jack disait que les particules de poussière dans une chambre où l'on est supposé dormir, c'était quelque chose qui oppressait ma mère.

Et puis il y avait ces murs habillés d'une vieille tapisserie où ornaient des photos de nos ancêtres ; encore un délire de ma mère. Le genre que l'on trouve généralement chez nos grands-parents. Je n'ai jamais vraiment trop su pourquoi ils n'avaient jamais pensé à la rénover. Ce n'était pas le genre de Jack, je pense d'ailleurs qu'il voulait simplement éviter de contrarier ma mère.

Cette oppression qu'elle devait ressentir à cause de ces stupides volets, je la ressentais ; mais pour autre chose.

Park m'avait aidé à gravir la dizaine de marches qui me séparait de l'étage.

Quand je lui avais demandé ce qu'il faisait ici, dans une maison que je n'avais pas retrouvé depuis des mois, il m'a répondu qu'il avait juste eu à joindre un de ces contacts de l'Etat, à lui glisser un ou deux billets pour récupérer les clés rien que pour la journée. La maison n'avait pas encore été vendue. Mais ça ne serait tardé. Il paraitrait qu'un jeune couple s'apprêtait à faire une offre. Il disait qu'il tenait à me la faire voir une dernière fois. Il savait que je l'avais quitté un peu précipitamment. Je n'avais pas vraiment eu le cœur de lui dire au revoir à l'époque. Aujourd'hui encore, il m'en était difficile. Mais c'était en prenant sur moi que je m'étais retrouvée à l'étage.

- Tu veux peut-être y aller seule, je suppose.

- Non. J'avais marqué une courte pause avant de reprendre ; Allons y. Ensemble.

Et on y était allez ; ensemble. On avait monté ces marches, ensemble, et voilà qu'encore une fois ensemble, on se retrouvait devant la porte de ce qui autrefois se trouvait être ma chambre.

Je l'ai poussé. Elle qui était entrouverte, je n'ai eu qu'à utiliser mon index pour découvrir un univers qui m'avait un jour appartenu. J'ai de nouveau coupé ma respiration, avant de me rendre compte que cette fois, ça n'était pas nécessaire. Ce monde, je l'avais déjà exploré, je l'avais apprivoisé.

Aujourd'hui, ce monde était vide. Quelques cartons trainaient de part et d'autre de la pièce. Certainement des vieilles bricoles que la commune avait déposé ici avant d'entamer des possibles rénovations. Cela faisait un bout de temps que personne n'avait mis les pieds dans cette partie de la maison. Et pourtant, c'était celle qui pour moi renfermait le plus de secrets. Les miens, ceux de Flynn, et ceux de ces mystiques notes de musique qui étaient parvenus à mes oreilles pour la première fois. A présent l'endroit ne renfermait plus que des couches de poussière.

- C'était ma chambre, j'ai déclaré.

J'ai pointé du doigt la pile de cartons qui nous faisait face.

- Là, à cet endroit-là, tu avais mon bureau. Je n'y passais pas énormément de mon temps, mais je l'aimais bien, j'y empilais tous les livres théoriques sur l'Univers que je pouvais trouver avant de les bouffer le soir même. Je me suis légèrement reculée. Là, au milieu de la pièce, tu avais un énorme tapis vert, bien dégueulasse, mais que j'adorais. Je passais mes journées là, en tailleur contre une montagne de coussins, des magazines et des vinyles dans les mains, à écouter mes nouvelles trouvailles. Sur les murs tu pouvais trouver une dizaine de posters de tournées des années 70, c'étaient mes trésors. J'ai souri. C'était comme si rien n'avait vraiment changé. Cette même envie d'aventure et de découverte venait me ronger ; comme avant ; comme à l'époque où tout allait pour le mieux.

- Et là, à l'endroit même où tu te trouves, c'était ce qui me pousser à ne pas aller en cours.

- Ton lit ?

- Oui. Le meilleur des lits qui sois.

On a ri, chaleureusement. Et c'est dans cet élan que Park a décidé de s'asseoir. Là, contre le mur à l'emplacement même où je me trouvais lorsque j'étais plongée dans mes couvertures. Je l'ai suivi. Je suis descendue de ma chaise roulante, et j'ai rampé sur quelques mètres, pour plaquer à mon tour, mon dos contre le plâtre. J'en avais écouté, des morceaux, sur ce lit. J'en avais eu, des pensées, sur ce lit. J'en avais regardé, des étoiles, sur ce lit. Ces étoiles, c'est en levant la tête que j'ai remarqué qu'elles ne m'avaient jamais quitté. Ces pauvres petits machins en plastique que j'avais eu pour mon huitième anniversaire, que j'avais collés avec la plus grande douceur, que j'avais vu s'éclairer avec la plus tendre des fascinations. Ces étoiles ; elles étaient toujours là, au-dessus de nos têtes, et elles brillaient déjà, la nuit n'étant pas encore tombée. C'est les yeux posés sur elles, que ça m'a pris. J'étais devenue une éponge qui absorbait la beauté qui m'entourait, qui absorbait la musique que j'aimais, m'offrant la fabuleuse impression de pouvoir comprendre le monde. Ces musiques. Celles qui s'élevaient dans les airs pour quitter le cosmos, avant de redescendre avec tendresse pour vibrer en une symphonie idyllique dans ma tête, jusqu'à me rappeler cette musique particulière. Celle du parapente. Celle qui symbolisait la liberté, celle qui symbolisait ces étoiles en plastique, là, au-dessus de nos deux corps. Et alors j'ai pleuré. J'ai pleuré parce qu'on n'avait pas fini de régner.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant