Chapitre 43

93 11 0
                                    

J'ai réalisé que je l'avais voulu depuis un bout de temps, ce baiser. Je l'avais voulu depuis un bout de temps et je ne m'en étais rendu compte qu'en l'obtenant. Maintenant que j'en avais pris conscience, il m'avait semblé indispensable. Mais c'est en ouvrant les yeux lendemain, que j'ai était envahi de craintes. Celle d'avoir fait une bêtise, celle d'avoir mis fin à un respect mutuel qui commençait doucement à s'instaurer. Mais aussitôt, lorsque j'ai levé les yeux pour découvrir ses paupières fermées, mes appréhensions se sont éteintes, comme si elles ne s'étaient jamais emparées de moi. J'ai revu son sourire, j'ai imaginé ses mâchoires se contracter, je me suis remémorée la sensation de ses lèvres contre les miennes, et j'ai frémi. Je ne sais pas combien de temps on est resté comme ça. Blottis l'un contre l'autre, nous partageant ces vieilles couvertures poussiéreuses comme des enfants devant leur premier film d'horreur. Peut-être une heure, peut être deux, peut-être même une semaine entière. Quoiqu'il en soit, le soleil était levé, et le transparent des carreaux, plus-aussi-transparent. Quoiqu'il en soit, malgré un souffle que je voyais disparaître au-dessus de ma tête, et le bout de mon nez que je savais congelé, j'étais bien. Après ce baiser, nous étions resté silencieux. C'était agréable. Je voulais laisser l'espace parler à notre place, et Byers semblait d'accord avec moi. « Park sentait bon », c'était la seule et unique chose que j'avais à l'esprit ; son odeur de pancakes tout juste sortis de la poêle me faisait remuer les narines comme un souvenir lointain qui venait me rendre visite. On a mis une bonne heure avant de trouver la position la plus confortable pour nous deux, tout en étant sûr de se réchauffer l'un l'autre. Après avoir essayé tous les moyens envisageables, on a fini par opter pour le « ma tête sur son torse, ma jambe sur la sienne, son menton contre mes cheveux, et son bras en dessous de ma poitrine ». Ça avait été un succès pour ma part. A tel point qu'en me réveillant, je m'étais aperçue de l'adorable souvenir qu'avait laissé ma bouche sur le biceps de mon voisin. J'avais rapidement essuyé la tache humide, espérant qu'il ne la remarquerait pas en se réveillant.

Aucune voiture n'avait croisé notre chemin depuis la veille. Il était tard dans la matinée, et toujours personne à l'horizon. Park répétait que la dépanneuse allait arriver. Je n'en étais pas aussi certaine que lui. Quand j'ai proposé que l'on marche en espérant trouver une station-service, Park m'a assuré en rigolant que :

-Non, on est dans un trou paumé. Tu ne trouveras rien à des kilomètres à la ronde. Ils vont arriver, ils sont en chemin, je t'assure, un peu de patience.

J'aurais voulu me contenter de sortir pour soulager un besoin naturel pressant. J'avais même eu l'idée de prétexter avec embarras, un besoin excessif de prendre une grand bol d'air frais. Mais sans Park, il m'aurait été impossible de sortir de la voiture. Alors je me suis retenue. Evitant de penser aux chutes du Niagara et à la fontaine qui se trouvait dans le parc où j'avais fait la connaissance de Flynn il y a une dizaine d'années.

Finalement, il s'est avéré, après deux bonnes heures à attendre une quelconque présence, que Park avait raison. Le pick-up jaune sur lequel était inscrit le nom de la petite entreprise avait fini par se pointer. Un homme à la barbe mal rasé, au ventre gonflé et dont les jambes étaient aussi fines que celles d'un mannequin, était descendu de la dépanneuse, claquant la portière derrière lui. Il nous a observé de ses yeux érodés, et a fini par les baisser seulement pour allumer une clope. La cigarette à la commissure des lèvres et à présent les mains dans les poches, le bonhomme s'est avancé vers nous. Mike, il a dit qu'il s'appelait.

-C'est bien vous les deux p'tits jeunes qui avaient appelés hier soir ? il nous a demandé d'une voix éraillée.

-C'est ça.

J'ai d'abord cru que Park allait s'énerver, perdre son sang-froid comme il l'avait fait la veille au bout du fil. Mais rien de tout ça ne s'est produit. Au contraire. Il semblait presque en oublier que le vieil homme s'était fait longuement désiré, tandis que l'on tentait de se réchauffer à la chaleur de nos deux corps.

Mike nous a rapidement invité à monter dans sa camionnette en attendant qu'il jette un coup d'œil à notre voiture. Au bout de quelques minutes, il en est arrivé à la même conclusion qu'avait fait le chanteur un peu plus tôt ; le moteur était un lâcheur.

Park lui a proposé son aide. Mike était quelqu'un de lent, Byers disait que ça se voyait à sa démarche. Assise sur l'un des sièges avant, j'essayais de passer le temps en chantonnant les paroles d'Heart of the Country, à peine audible derrière le grésillement infernal de la radio. De temps à autre, mon regard venait à s'intéresser à ce que les deux hommes faisaient dehors, tandis que je me réchauffais comme je le pouvais dans le camion.

Byers n'était pas doué, il ne s'en était pas caché, mais avait tenu à filer un coup de main afin d'éviter de passer deux heures de plus dans cet endroit maudit.

Une fois notre van rouge a demi suspendu, Park s'est glissé à côté de moi, tandis que Mike était déjà dans le pick-up, s'étant occupé des quelques précédentes manipulations que requérait le tableau de bord.

Et puis on a fini par démarrer. Le son du moteur qui ronronnait m'a décroché un sourire plus que satisfait. On allait quitter ce trou à rat, on allait rentrer. On allait pouvoir dormir dans un lit. Un vrai lit. Un vrai lit sans couvertures qui donnent de l'exéma. Un vrai lit sans couvertures qui donnent de l'exéma, et dans une pièce où la température est supérieure au trois degrés de la nuit précédente. Ça semblait être le paradis lui-même ; pouvoir se coucher, sans s'inquiéter au point de vérifier toutes les deux secondes, que nos orteils que nous ne sentons pas, ne sont pas tombés à cause du froid ; une habitude prise après avoir regardé Pirates des Caraïbes en compagnie de Flynn. Je percevais quelques sons qui provenaient de la radio ; de la musique country en sortait. Rien de très enjouant, mais tout de même, le rythme sage me berçait. Ajouté à ça la voix rauque de Park qu'il tentait de mesurer et qui pourtant, faisait vibrer tout son corps. Il m'était impossible de ne pas fermer les yeux pour apprécier toutes ces bonnes choses. Et pourtant l'idée qu'il ne restait qu'une journée me laissait cet arrière-goût aussi anxieux qu'amer.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant