Chapitre 16

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J'ai tenté de me faufiler discrètement avant de m'attirer les foudres du jeune chanteur.

- Eh toi !

Trop tard. J'ai arrêté brusquement mon fauteuil, puis je me suis retournée de façon lente et avisée afin de lui faire face en ayant, avant tout, eu le temps de réfléchir à une excuse bidon, une phrase toute faite.

- Tu sais ce que ça va me coûter tout ça ? Hein ? A-t-il haussé le ton en prenant soin d'insister sur chaque mot prononcé. Je ne l'avais encore jamais vu aussi furieux.

Je n'ai pas rétorqué. Je savais que ça n'aurait fait qu'accroître sa colère. Il me fixait, me faisant alors comprendre qu'il n'était pas des plus ravi, et que bien au contraire, il aurait largement préféré éviter un voyage en ma compagnie. 

Park a fini par répondre à sa question rhétorique par un simple "laisse tomber" des plus déconcertant. Puis il s'est assis sur le canapé, son visage caché entre ses mains, négligeant quelques mèches de ses cheveux bruns en pétard.

- Trois semaines... putain, a-t-il murmuré en essayant de réaliser ce que cela impliquait.

Sa remarque, qui n'était qu'un simple chuchotement, m'avait offensé. Je n'avais jamais été perçue comme encombrante, du moins, pas il y a encore quelques jours malgré les inconvénients qu'apportait le fait de passer ses journées dans un fauteuil roulant. Park semblait à bout, et je l'étais aussi, mais pour une fois, les rôles s'inversaient ; je portais l'un de ces masques qui ne laissaient rien paraître, tandis que lui commençait à craquer. Il n'a pas changé de position, non. Au lieu de ça, il est resté planté dans le salon, la tête entre ses longs doigts auxquels s'agrippaient deux bagues en argent.

Moi aussi, je demeurais dans mon propre fauteuil, regardant d'un œil désolé la statue figée que représentait ce garçon. C'était ma faute. Tout était de ma faute, et je n'aurais jamais cru qu'un jour, je culpabiliserai en voyant Park Byers aussi désespéré.

J'aurais voulu lui parler. J'aurai voulu lui dire que j'étais navrée. Mais ça ne servait à rien, il n'aurait fait que me renvoyer à la figure l'une des répliques vexantes qu'il devait avoir en réserve. Après d'interminables secondes, ne comprenant pas vraiment ce que je faisais encore dans la pièce, raidie dans mon fauteuil comme une idiote, je suis retournée dans ma chambre avec l'intention d'y rester toute la journée, à essayer d'évaluer le prix des meubles et à bombarder Flynn de textos n'ayant pas obtenu de réponse suite à mes coups de fils de la veille.

***

Finalement, je n'avais rien fait de ce que j'avais prévu. J'étais restée allongée sur mon lit toute la sainte journée à fixer le plafond, j'étais sortie une ou deux fois histoire de grignoter quelque chose tout en veillant à ce que Park ne soit pas dans les parages. Puis j'étais retournée dans ma chambre et j'avais continué mon interminable discussion avec un plafond victorien assez timide.

Il devait être vingt et une heure lorsque mon téléphone, posé à quelques centimètres de mon visage, a sonné et m'a réveillé en sursaut. Je m'étais endormie sans même m'en rendre compte alors que je passais ces derniers jours à essayer de fermer l'oeil, n'obtenant jamais de résultats concluants. Décidément, ce lit faisait des merveilles. Les yeux clos, j'ai cherché d'une main fainéante mon vieux cellulaire. Une fois en mon étreinte, j'ai appuyé sur le bouton principal pour ouvrir le message que je venais de recevoir.

SMS ; 21:43  "Votre vol est a midi demain , Hector et moi vous attendrons devant l'hôtel."

J'ai soupiré, jetant alors mon téléphone à l'autre bout de la pièce avant de me rendormir, emmitouflée dans mes couvertures.


Dans la nuit, le haut de mon corps a de nouveau tressaillit, mais cette fois, je ne suis pas restée allongée. Un bruit sourd m'a précipité dans mon fauteuil pour accourir à la cuisine.

Une fois arrivée, j'ai baissé les yeux, découvrant à ma grande stupéfaction des dizaines de morceaux de ce que je me souvenais être des assiettes. Mon regard s'est posé sur celui du coupable. Lui, qui une fois encore était torse nu, ne portant rien de plus qu'un jean moulant. Il faisait sombre, seule la lumière de la ville éclairait faiblement la pièce principale, me laissant tout juste apercevoir mon colocataire. Il semblait déboussolé, triste, désarmé. Sa respiration était saccadée, son cœur battait à cent à l'heure, je fixais sa poitrine trempée de sueur. Mes yeux se sont dirigés sur sa main droite, et j'ai entrouvert la bouche à la vue d'une bouteille d'alcool qu'il balançait d'avant en arrière tout en étant tenu fermement par son poing. Park était ivre.

- J'avais besoin de casser quelque chose, a t-il proclamé d'une voix essoufflée.

Son regard été vide, perdu. Je n'avais perçu aucun frisson, pas la moindre émotion. Just cette fureur qui semblait le hanter depuis bien trop longtemps.

Il a trainé les pieds jusqu'au fauteuil gris où il s'est affalé tandis que je le suivais de près.

- Tu veux en parler ? Ai-je timidement demandé.

Aucune réponse. La baie vitrée ouverte laissait entrer la brise fraîche et le bruit des dernières voitures qui roulaient dans la ville. Il devait bien être minuit.

- Laisse tomber, a-t-il fini par rétorquer après un long soupir.

- Park, je suis sérieuse je...

- Et je suis sérieux aussi, laisse tomber, a t-il sèchement répliqué.

"Sincèrement, Mabel, tu t'attendais à quoi ? A ce qu'il te raconte sa vie et ses problèmes ? Non. Pourquoi ? Eh bien je vais te dire pourquoi. Par ce que vous n'êtes pas amis, et que justement, tu es l'un de ses problèmes, et certainement le plus gros. »

- Très bien, tu sais où me trouver.

Je gesticulais dans tous les sens essayant de trouver une position plus confortable pour dormir. Mais j'en étais tout simplement incapable. Je ne pouvais pas me sortir son image de la tête ; son corps trempé de sueur et sa bouteille à la main. Agissant comme un solitaire, un ermite. Je venais de voir un autre aspect de Park Byers. Celui d'un garçon plus faible que ce que l'on pouvait bien croire. Celui d'un garçon que je pouvais comprendre sans vraiment le faire.

Ne pouvant pas lutter contre mon insomnie, j'ai décidé de profiter de cet agrypnie avant de ressentir un besoin excessif de me rendormir. Alors, après m'être redressée sur les coudes, j'ai attrapé mon carnet posé la table de chevet à mes côtés, ainsi que le vieux stylo que j'avais pris la fâcheuse habitude de mordiller.

"Cher Jack"

J'ai commencé à écrire machinalement. J'ai tenté, malgré toutes ces pensées, de réfléchir à une phrase cohérente qui laisserait ensuite ma main libre d'écrire ce qui me viendrait à l'esprit. Il s'était passé tellement de choses depuis la dernière fois où j'avais ouvert ce calepin, que je ne savais pas par quoi commencer. Mes paupières lourdes me trahissaient, et je me suis retenue de les frotter alors qu'inconsciemment, je gribouillais les sombres tatouages de Park sur une page encore vierge de mes états d'âme.

Mon cerveau ne se montrait pas réactif et refusait d'émettre une quelconque réflexion. D'habitude, tout était plus fluide, chacun des mots que j'inscrivais sur le papier devenait plus réel que ce qu'il ne l'était déjà, ils accentuaient mes élans.

J'ai ruminé une fois de plus, quand la sonnerie de mon réveil s'est épanouie.

J'ai ouvert un oeil, puis un deuxième, et mes pupilles se sont dilatées brusquement à la lumière qui traversait la pièce.


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Une bonne année à tous les lecteurs. En espérant qu'elle sera meilleure que la précédente !

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant