Chapitre 2

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On dit souvent que, lorsqu'on échappe de près à la mort, chaque instant de notre vie se met à défiler sous nos yeux. Que ce soit de simples actions sans importance que l'on accompli dans une routine quotidienne, aux moments les plus vieux, les plus rares, les plus intenses que l'on ait pu vivre jusqu'au jour maudit où tout prend le risque de disparaitre. Du moins c'est ce que j'avais pu constater les dimanches après-midis, lorsque NBC diffusait l'un de ses nombreux feuilletons à la noix que l'on regardait avec Jack, affalés sur le canapé et vêtus encore de nos pyjamas. Généralement l'histoire tournait autour de ce père de famille modèle, trompant sa femme avec la nouvelle et jeune secrétaire de l'entreprise que, bien entendu, il possédait. Tout se déroulait parfaitement pour lui. Il passait le plus clair de son temps avec une amante au corps merveilleusement dessinée, et le soir, en rentrant, il n'avait qu'à mettre les pieds sous la table et à refiler toute sa culpabilité à celle qui avait fait la connerie de l'épouser. Mais il y a toujours un moment où ça dérape. Il y a toujours un moment où le protagoniste se rend compte que quelque chose cloche chez la femme avec qui il entretient une liaison. Et il finit par en avoir la certitude lorsque cette dernière, que personne n'aurait un jour soupçonné d'être complètement dérangée, tente de le tuer à bord de la nouvelle BMW qu'il venait tout juste de lui offrir. Et c'était là. C'était à ce moment-là, précisément, qu'il revivait ses souvenirs. Qu'on les revivait, avec lui. Comme si l'on était présent dans sa tête. La première fois qu'il a réussi son lancer de base-ball, sa rencontre avec la mère de ses enfants, l'inauguration de sa remise de diplôme, la célébration de son mariage, les premiers mots de son fils adoré et les baisers passionnés échangés avec une sociopathe qui lui laissait désormais cet arrière goût amer. Tout était là. Le pompon restait bien entendu ces fondus de blancs dignes des films sur grand écran. Après cela, Monsieur X réalisait subitement que les sentiments qu'il éprouvait pour sa femme étaient toujours bien vivants, que sa flemme était toujours allumée, ne demandant qu'à être nourris davantage. Et elle, elle finissait par lui pardonner, bêtement.

Moi, je n'avais rien vécu de tout ça. Rien n'avait défilé sous mes yeux, seulement cette peur qui ne m'a jamais vraiment quitté depuis ce soir-là. Cette peur atroce de la mort.

Il me disait que j'étais la chose dont il était le plus fier, dont il était le plus heureux. Il ne cessait d'être là pour moi, d'être à mon écoute et de croire en ce que je faisais. On m'a pris la personne en qui j'avais le plus confiance. Il ne reviendrait pas. J'en avais conscience. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de penser à lui, de lui écrire, tous les jours. De lui parler de mes pensées, de lui donner mon ressenti, à n'importe quel moment de la journée, de la nuit, quand l'envie m'en prenait.

Les médecins m'ont dit qu'il n'avait pas souffert. Je n'ai pas pu le confirmer, j'avais perdu connaissance en seulement quelques minutes. D'après la police, notre véhicule était rentré dans un arbre après s'être retourné sur plusieurs mètres à de nombreuses reprises.

J'ai pensé à mon dernier souvenir. A cette voiture et à la lumière aveuglante qui jaillissait de ses phares. Elle nous fonçait droit dessus. Jack m'avait serré la main, jusqu'à enfoncer ses ongles dans ma chair. J'avais pu sentir sa force, sa peur. Il avait dû être aussi terrifié que moi. J'étais restée immobile, à contempler son visage l'espace d'un instant. Ses yeux étaient écarquillés, sa bouche, elle, grande ouverte. Mais je n'avais aucun souvenir des sons qui avaient pu en sortir.

Ensuite, plus rien. Je me suis réveillée aprioris deux jours plus tard, entre quatre murs d'un blanc imposant. J'avais mal. A l'épaule. A la nuque. Mes bras me grattaient, des tuyaux les transperçaient. Il faisait froid, très froid. Ma mère était à mes côtés, assise sur une chaise, elle dormait.

L'hôpital. J'en reconnaissais l'odeur écœurante du désinfectant mêlé à celui des médicaments. Je haïssais ce genre d'endroit. Étant petite, j'avais dû y accourir à cause d'une idiotie ; un champignon du jardin que j'avais avalé. On avait beau m'avoir prévenu que ces choses là n'étaient pas comestibles, j'avais voulu m'en rendre compte par moi même. J'étais restée seulement quelques heures en observation, et pourtant, ce temps passé avait largement suffi à fonder des cauchemars qui ont duré des semaines et dont je me souvenais encore aujourd'hui.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant