Malgré une oreille attentive, mon regard vagabondait, revenant souvent à l'objet de ses pensées ; -ce brun à côté de moi, les bras croisés sur son torse- encore chamboulée par la surprise qu'il m'avait réservé. Il ne me connaissait pas. Pourtant c'était comme si je lui avais révélé chaque trait de ma personnalité, chaque étape de ma vie. David a mimé les gestes à adopter une fois dans le ciel, et nous a rappelé les consignes de sécurité, devant par moment se répéter en voyant que je m'égarais dans mes pensées. Mais il me reprenait toujours gentiment, ajoutant à ses remarques un sourire amusé.
- Le matos est paré au décollage. Il n'attend plus que vous. Vous n'avez plus qu'à vous mettre en tenue. Quant à moi je vous retrouve en bas pour votre atterrissage.
Nous avons tous deux remercié David avant qu'il ne prenne le van avec lequel il était venu.
Park m'a aidé à enfiler ma tenue, supportant la dizaine de questions que je me retenais de lui poser pendant l'initiation.
- Tu en as déjà fait, n'est-ce pas ?
- J'en faisais avec David autrefois, c'était notre job après les cours. Certains préfèrent travailler dans des cafés, personnellement j'ai un penchant pour les vues panoramiques qu'on peut avoir en Australie.
- Et si j'ai le vertige ?
- Impossible. Une fois dans les airs, tu n'as plus de repère par rapport au sol, le vertige n'est présent que lorsque tu touches la terre, ce qui ne sera pas le cas là-haut.
Je n'ai rien ajouté de plus, le laissant me passer le lourd équipement qui me reliait aux draps. Park a fait de même. Il m'a ensuite aidé à me positionner, et quelques minutes avant de nous envoler, j'ai osé.
- C'est comment ?
- Vois par toi-même Clark, maintenant tais-toi, et prépare-toi à apprécier le monde.
Park a pris quelques pas d'élan, les accélérant chaque fois que ses pieds entraient en contact avec le sol, avant qu'ils ne le touchent plus et qu'ils s'élancent dans les airs avec nos corps. J'ai hurlé pendant la courte chute. J'ai hurlé et j'ai frémi. J'ai senti mes poils s'iriser en réalisant que je volais. Je volais. Plus de fauteuil. Plus de problèmes de crampes, de cloques et de tout autre blessures en tout genre, causées par cette satanée situation.
Plus de marche infranchissable. Plus de roues crevées en plein milieu de la route. Plus de routes. Plus de maisons, plus de monde, seulement les airs, et nos deux corps en harmonie.
- Alors, c'est comment ? Le vent couvrait la voix de Park, il a dû crier.
J'ai mis un certain moment avant de répondre. Je n'étais même pas sûr quand au fait qu'il puisse m'entendre. Je souriais. Je souriais comme jamais je n'avais souri.
Le paysage s'étendait à perte de vue, me confirmant avec certitude que la Terre était ronde. A plusieurs centaines de mètres au-dessus du sol, rien ne pouvait m'atteindre. J'avais tout laissé en bas, aux côtés d'une chaise sur laquelle je ne me trouvais pas.
- Magnifique, j'ai chuchoté.
Tout me paraissait inoffensif, même ces vagues déchaînées qui se défoulaient sur de pauvres rochers. Même Merle. Même ma mère, même Thomas Kelley.
J'ai pensé à Seb. Je me suis dit qu'il aurait aimé voir ça. Je me suis dit qu'il aurait aimé ce monde, celui-là, celui où on a la tête dans les étoiles.
Je volais. Assise dans une chaise faite à partir de sangles, je volais. Je voulais toucher les nuages, je voulais balayer la terre. J'ai crié. Crié de toutes mes forces jusqu'à ce qu'à ce que je m'épuise, jusqu'à ce que ma voix se brise. Je riais, sans vraiment trop savoir pourquoi. Si, je savais pourquoi. Parce qu'on était là. La terre en dessous de nos pieds, l'Univers au-dessus de nos têtes.
J'ai fermé les yeux. Essayant d'imaginer le reflet du soleil sur les ailes du parapente.
J'ai fini par tourné la tête, trop envieuse de vouloir apercevoir ce spectacle magique. Et il l'était ; magique. Les ailes du parapente s'étaient déployées de telle façon à ce qu'on aurait pu se croire agrippés aux pattes d'un oiseau majestueux qui survolait l'océan avec fierté. Derrière moi, Park m'observait, un sourire discret habillait son doux visage.
C'est en le regardant lui que cette irrésistible envie m'a prise. Je voulais chercher une chanson. Une mélodie qui collerait magnifiquement avec ce que je ressentais, à ce moment, à cet instant précis où le monde m'était à portée de main.
Je me sentais libre. Nous l'étions tous les deux. J'avais cette impression. Celle que l'on a d'être dégagé de toute obligation. Sans eux, sans ceux qui instaurent des obstacles sur notre passage, et nous empêchent d'avancer sans se prendre les pieds dans leur piège avant de tomber, et de s'écorcher les mains sur le macadam, laissant quelques éraflures et d'ignoble traces incrustées dans nos paumes salies. Eux, qui nous soumettent à leur force arbitraire, à cette puissance à laquelle on ne peut rien faire hormis obéir. Je les envoyais se faire voir, eux, Merle, ma mère, Thomas Kelley.
J'ai rapidement abandonné. Aucune musique n'était assez puissante pour décrire ce que je ressentais.
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LIGHT HOUSE
Teen FictionVenez découvrir l'histoire de Mabel Clark; une jeune fille passionnée par l'Univers et ses mystères qui, après un événement bouleversant, n'a qu'une hâte; sortir de son fauteuil roulant. Sans même qu'elle ne s'y attende, la jolie b...