Chapitre 66

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    Ce silence. Il est étrange n'est-ce pas ? Il est fabuleux. Il est bruyant. Il est différent, peu importe où l'on se trouve, peu importe quand est-ce qu'on l'écoute. Les vagues s'entremêlent et semblent avoir leur propre langage. J'en oublierai presque les Klaxons des voitures enragées qui se disputent un feu vert, les lumières aveuglantes de la ville, l'agitation qu'elle abrite, l'odeur qui s'y est immiscée. Si, à vrai dire, je crois que je les ai oubliés.

Il y a une époque où je ne vivais que pour elle ; la ville. Elle semblait si grande, si imposante, si insoumise, dominante et pourtant si libératrice. Mais en réalité, la ville se trouvait être ma cage dorée. Celle dans laquelle je m'empoisonnais en pensant m'abreuver. Il est arrivé que certains matins, elle m'apparaisse comme elle était réellement ; aussi cruelle, aussi artificielle, aussi faussée, aussi injuste. Et alors elle me donnait envie d'hurler. Une sensation amère dans la bouche, et le sentiment d'avoir été pris au piège, d'avoir été dupé, rodait en moi à m'en donner la nausée. Alors, peu importe l'hôtel dans lequel je me trouvais, je me réfugiais généralement sur la grande superficie que m'offrait le balcon pour reprendre mon souffle, en ayant l'impression que l'air inspiré n'était qu'artificielle. Et puis s'en venaient mes murmures, eux qui étaient emplis d'insultes envers la vue que j'avais en face de moi. (La ville, elle, ne change pas, peu importe où tu te trouves.) Finalement les minutes venaient de nouveau s'emparer de moi pour me rendre aveugle ; ou presque. J'avais tout, alors pourquoi est-ce que j'avais l'impression de ne rien posséder ? Je finissais par en déduire que ce n'était pas la ville le problème ; c'était moi. Et je m'en étais persuadé. Tout ce qu'il fallait, c'était que j'essaie de m'adapter, et tout irait bien. Tout irait bien, et un jour je me réveillerai sans avoir envie de pousser de cri.

Je n'ai plus envie de pousser de cri.

Tu sais, l'autre matin, je me suis retrouvé en face de toi, des années et des souvenirs mouvementés en moins. Elle devait avoir huit ans. Elle ne te ressemblait pas. Du moins, pas physiquement, un teint pâle, des cheveux roux frisés qui dansaient sur ses épaules. Pourtant, j'avais l'impression de te voir. Peut être parce qu'elle avait le même feu de passion qui regorge en toi. C'était fascinant ; cette façon qu'elle avait d'observer ce cerf volant valser dans les airs agrumes, juste autour du soleil qui venait de s'éveiller. J'ai espéré que cette étincelle ne disparaisse jamais de ses yeux. Après tout, elle n'a jamais quitté les tiens.

Les enfants sont spéciaux, philosophes, innocents, étonnants. Mais les enfants grandissent. Ils ont d'autres préoccupations. A force de voir les choses, on les trouve nettement moins magiques, beaucoup moins intéressantes. Les amis s'y mêlent, l'école aussi. On grandit. On grandit et on acquiert des connaissances soi-disant plus importantes. L'homme passe alors sa vie dans une illusion qui le détourne de ce qui se trouve au dessus de sa tête. Il a été élevé ainsi. La société l'a élevé ainsi, lui qui aurait pu être voué à résoudre tous les mystères. Il est ancré à un réalisme qui n'existe pas. Pourquoi ? Parce que c'est trois syllabes sont simplement une création de la société qui semble aussi illusoire qu'elle n'est importante.   La réalité, elle, c'est celle qui est à l'origine de notre être, c'est celle qui nous entoure, c'est chaque moment qui nous rapproche un peu plus de l'univers, de la nature elle même. 

Le voyage, c'est ça le remède. Parce que lorsqu'on voyage, on ne s'attache pas, on ne connait plus le sentiment de lassitude qui pourrait nous détourner du vrai.

Il y a eu une époque où je redoutais de me lacer de tout ça ; de cet univers. Mais aujourd'hui, assis au bord du bout du monde, je me rends compte que ça serait tout bonnement impossible. Pourquoi ? Je vais te le dire, pourquoi ; parce que, lorsque l'on se rend compte de la beauté qui nous entoure, on a tout sauf envie de fermer les yeux. Alors moi, je les garde grands ouverts.

LIGHT HOUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant