La musique des Black Eyed Pease revenait me hanter alors que je n'avais rien demandé.
La main occupée à fouiller le fond de mon paquet de chips, je redécouvrais pour la énième fois le visage souriant d'Oprah qui venait à se figer en réalisant que personne ne daigner danser. Personne, hormis cette fille, là, devant, qui a fini par induire les autres à la suivre au rythme de la musique. A d'autres, puis encore à d'autres, jusqu'à ce que la foule explose, et que le visage de la présentatrice s'illumine comme il ne l'avait jamais fait.
J'ai détourné le regard en m'apercevant avec tristesse qu'aucune chips ne parvenait entre mes doigts ; j'avais atteint le fond du sac. Deuxième paquet de Cheetos que je m'enfilais devant la troisième émission de la semaine que diffusait CBS, retraçant les meilleurs moments de l'année, les vidéos gags que les internautes avaient envoyés avec quelques chutes mémorables, et les best-offs des séries télé diffusées sur la chaîne.
- Il fait une chaleur de dingue à l'extérieur, tu verrais ! Brooklyn est complètement vide. Même la bande de gamins du quartier n'est pas sortie dehors pour jouer au ballon. Ils doivent surement être en train de se manger une glace devant les dessins animés.
- Tu as mon paquet de Cheetos ?
Cela faisait maintenant plusieurs semaines que Flynn s'était installé dans l'appartement. Deux mois auparavant, il avait décroché un job en tant que barman dans un nouveau club branché du coin. La décision de venir s'installer chez moi était venu à lui comme une lumière, et elle était venue à moi comme une imposition.
- Allez Mabel, on en rêve depuis qu'on est gamin ! Avait-il appuyé à ce moment-là. C'était vrai. On en rêvait depuis qu'on n'était pas plus haut que trois pommes. Mais à l'époque c'était dans un vieux quartier de Dublin qu'on se voyait ; pas dans un trou paumé de Brooklyn. Maintenant que ma mère était partie, il était hors de question pour mon ami de me laisser seule malgré le nombre interminable de fois où je lui avais répété que tout irait bien. Mais je pense que vivre ici l'arrangeait aussi d'une part. En effet, la mère de Flynn avait retrouvé quelqu'un. Et quand son mec macho ne passait pas tout son temps affalé dans le canapé -comme je l'étais maintenant- à réciter l'alphabet en rotant, une bière à la main, un match de catch sous les yeux, ces deux-là se dirigeaient vers la chambre pour glousser tout en se tripotant.
En plus de ça, la distance entre le lieu de travail de Flynn et leur appartement rendait ses temps de sommeil impossible, l'obligeant à avaler un nouveau café toutes les heures pour ne pas avoir à s'écrouler durant la journée. Alors au début de l'été, Flynn Nelson avait décidé de poser bagage, et j'avais accepté.
- Comme toujours ! Il m'a lancé le paquet et je l'ai attrapé de justesse, par reflex. Quoi, encore Oprah et son flash-mob ? Il est passé tellement de fois à la télé que je vais finir par devenir fou !
Flynn ne m'a jamais demandé ce qui c'était passé avec Park. Je ne pense pas que c'était parce qu'il ne le souhaitait pas, je crois plutôt qu'il ne voulait pas connaître la réponse.
Parkles Byers n'existait plus.
Parkles Byers et moi ne nous parlions plus.
Parkles Byers avait essayé. Il avait passé les deux premiers mois, à m'envoyer des messages pour prendre de mes nouvelles, il m'appelait même quelques fois. Au début je répliquais, mais c'est en voyant son nom apparaître de trop nombreuses fois sur l'écran de mon téléphone que j'avais fini par devenir réticente, jusqu'à prendre mes distances, et ne répondre que très rarement. Ça m'en devenait insupportable. Ce n'était pas Park le problème ; c'était moi ; c'était nos vies. Il avait la sienne ; il était éclairé par les projecteurs, tandis que j'étais retournée dans l'obscurité en dessous des étoiles discrètes de Brooklyn. Alors il avait fini par cesser de faire des efforts. Fini les sms pour m'avertir des nouvelles conneries de Danny, des colères de Merle et des musiques qui lui faisait penser à Wheeler. A ce que nous étions.
Nous n'avions pas échangé le moindre texte depuis plusieurs mois, à part cette fois-là, lorsque ma mère est entrée à l'institut de Bellevue. Après plusieurs semaines de vide, je l'en avais averti. Il n'avait pas répondu.
C'était peut-être mieux comme ça. Après tout, j'avais voulu qu'il m'oublie, il avait peut-être finalement réussi à le faire.
En rentrant d'Oregon, le comportement de ma mère avait totalement changé. En rentrant d'Oregon, elle n'était pas assise dans le canapé. En rentrant d'Oregon, elle avait fait l'effort de me préparer à manger. Ce n'était qu'un plat réchauffé, oui, mais elle n'avait pas touché à un micro-onde depuis la disparition de Jack. Alors je n'ai pas émis de grimace en découvrant une assiette cramée. Je n'ai pas non plus émis de bruit lorsqu'elle m'a saluée. On s'est assise autour de la table. On s'est regardé. On s'est regardé, et pour la première fois depuis des mois, ses pupilles m'étaient réellement visible. Qu'est-ce que j'y voyais ? Tout ce que je n'avais pas vu mais que j'aurai dû voir avant. On s'est regardé, et nous n'avons pas parlé. On est restées assises là, chacune sur notre chaise ; la sienne en bois, la mienne en métal. On est restées assises là pendant plusieurs minutes, à tel point que lorsque l'on a enfin daigné toucher nos assiettes, celles-ci ne renfermaient plus aucune chaleur. On est restées assises là, nos yeux plongés dans ceux de l'autre ; j'y mettais toute ma rancune. On est restées assises là, et on a fondu en larme. A cause d'elle, à cause de moi, à cause de Jack. Elle a promis qu'elle changerait, qu'elle accepterait de se faire soigner, qu'elle redeviendrait la mère qu'elle avait un jour était pour moi. En échange, tout ce qu'elle demandait, c'était que je lui pardonne. Je lui ai répondu que c'était déjà tout fait.
Dans les semaines qui ont suivi, Flynn et moi avons discuté, jusqu'à opter pour ce que l'on considérait tous deux comme étant la meilleure des solutions. Je lui avais demandé de m'aider, craignant de ne pas pouvoir être objective dans mon choix. Et c'est après des nuits blanches à penser à elle, à ce qu'elle deviendrait, que nous l'avons déposé dans un centre à New York, seulement pour quelques semaines, seulement le temps qu'elle reprenne goût à ce qui l'entoure. Je l'appelais tous les jours, et je pouvais l'entendre à l'autre bout du combiné qui souriait.
Depuis plusieurs mois, j'allais mieux, c'était une certitude. J'allais mieux, mais quelque chose me manquait, et même avec tout le respect que je devais à cet artiste, ce n'était pas de Blaze Foley dont je voulais parler.
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LIGHT HOUSE
Novela JuvenilVenez découvrir l'histoire de Mabel Clark; une jeune fille passionnée par l'Univers et ses mystères qui, après un événement bouleversant, n'a qu'une hâte; sortir de son fauteuil roulant. Sans même qu'elle ne s'y attende, la jolie b...