25. L'idée de génie

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« Je ne voulais pas que notre boîte fasse quelque chose que d'autres auraient pu faire à sa place. Mais grâce à vous, encore une fois, ce ne sera pas le cas. Ceci va changer le monde. »

2050


À ce dîner, Marc Gérald s'était retrouvé assis à côté d'un écrivain à la mode. C'était un homme fat, très suffisant, d'une grande inculture. Il se vantait de vendre des bouquins dont les idées ne venaient pas de lui.

La conversation avait dévié, rasant un tas de sujets superficiels. Marc ne pensait rien de cette société ; son intelligence le plaçait bien au-dessus de tout ceci. Il souriait avec amertume, attendant avec impatience le jour où il les aurait tous dépassés. Il était l'entrepreneur du moment. Il ne s'arrêterait pas là. Dans deux ans, le ministre qui faisait des blagues grivoises lui mangerait dans la main.

« Vous savez, monsieur Gérald, je pensais, quand vous avez dit que vous alliez dépolluer la Terre, que vous alliez sortir de vos usines des petits hommes verts qui allaient ramasser les ordures sur l'autoroute. Un peu comme McCart nous l'avait promis, avec ses robots. »

Marc avait continué de sourire. Il s'était mis à réfléchir aux petits hommes verts, et l'idée avait fait son chemin toute la soirée, lui permettant d'échapper aux monologues ronflants.

« Ça ne prendra pas, asséna Peter.

— Laissez-moi vous expliquer un peu plus en détail...

— J'ai bien écouté ce que vous disiez. Ça ne prendra pas, sous cette forme.

La nuit suivante, pris d'insomnies, Marc avait dessiné le bonhomme, schématisé des séquences de génome, puis des chromosomes. Mais c'était Emmerich, le champion des mammifères ; ce serait lui la pierre angulaire du projet.

— En revanche, reprit Peter en cherchant ses mots, cette idée est tout à fait digne de vous.

Il se saisit du schéma.

— Regardez cette petite feuille de papier, Marc, regardez-la attentivement. Dans dix ans, cette feuille sera encadrée dans votre bureau, car il s'agit de la meilleure idée que nous ayons jamais eue depuis le début du projet. Il s'agit de ce qui nous manquait.

Biodynamics s'est déjà élancée à la conquête du monde, mais nous ne l'avons pas encore changé. La fondation Mrozowski attend en silence, elle attend de voir si nous sommes à la hauteur des espoirs que le vieux professeur avait placés en nous. Eh bien, sachez-le, j'ai eu des doutes ces dernières années. Je voyais nos succès s'accumuler, mais je me demandais dans quelle direction tout cela se dirigeait.

Je ne voulais pas que nous soyons un bouche-trou. Je ne voulais pas que notre boîte fasse quelque chose que d'autres auraient pu faire à sa place. Mais grâce à vous, encore une fois, ce ne sera pas le cas. Ceci va changer le monde.

— Qu'est-ce que vous me conseillez ?

— Nous allons y réfléchir posément, Marc. Il s'agit après tout d'un grand, d'un très grand projet. L'humanité toute entière a été déçue des espoirs placés dans la robotique. Les robots coûtent cher, les robots ne sont pas intelligents, et les nanotech sont dangereuses. Le problème, c'est que les robots sont conçus pour faire une tâche, pas pour s'adapter à l'humanité ; et ils seront encore en retard pour des décennies à venir, puisque les évolutions technologiques ont été freinées.

— Donc ?

Peter reprit son discours de visionnaire.

— Ces robots étaient les anges de McCart, chargés d'emmener les humains au paradis ; ils ont échoué,vous allez maintenant prendre leur place et réussir. Ruez-vous sur le marché exsangue. Inondez-le. Ou plutôt, faites-le rêver, utilisez le temps qu'il vous reste pour vous perfectionner, et le moment venu, faites en sorte que chaque famille sur cette planète ait son domestique.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant