« Cet homme était multiple. »
2098
« Un repasse-vaisselle ! Une poêle à limaces ! Du plastique de maïs, de la crème d'escargots ! Un mixer incendiaire ! Un four à ondes bêta ! Le téléphone sans fil, la puce intracrânienne ! L'ordinateur pliable, la pilule du QI, le paillasson-brosse automatique, l'aspirateur-robot, le coupe-légumes en pot ! La fausse plante en plastique, le drone-arrosoir, le mixer à brocolis, la chaudière électrique. La console de jeu, la deuxième console de jeu, l'ordinateur de poche, le quadrant sur l'oreille, le pendentif en toc, et encore la console de jeu !
— Foutaises, dit cet homme pessimiste qui sortait du tramway en ouvrant son journal. Tout ceci n'est pas le progrès.
— Le progrès, c'est la croissance.
— Le progrès, c'est la décroissance.
— Le progrès c'est l'énergie.
— Le progrès, c'est la fin du pétrole.
— Le progrès c'est le travail.
— Le progrès, c'est la fin du travail. »
La musique accompagnait le chœur des voix anonymes, saynètes les unes après les autres, dans une impression de mouvement. Car le monde, telle une immense centrifugeuse, tournait à toute vitesse – vu d'un côté – alors que ses constituants étaient immobiles – ou si mollement déplacés.
Marc Gérald, prophète récitant des discours qu'on avait écrit pour lui, momie de l'ancien temps exposée comme un empereur dans son cercueil de verre, prit alors la parole.
« Le progrès est quelque chose qui nous attend au bord du chemin, sans que nous en ayons conscience. C'est quelque chose qui nous tombe dessus et parfois, nous met mal à l'aise, car nous nous regardons dans un miroir dans lequel nous voyons le chemin que nous avons parcouru. Mais aussitôt que nous voyons ce chemin, nous nous disons : j'ai bien fait d'avancer jusque-là.
Morceaux choisis : les usines, les laboratoires, les uniformes gris aux bandes colorées, les visages souriants.
— Il y a dix ans, personne ne pouvait prévoir le progrès que nous allions faire. Et aujourd'hui, notre devoir est de faire ces pas sur un chemin où chacun d'eux porte encore plus de promesses que le précédent.
Le logo naquit comme une apothéose, tracé de la main de Dieu lui-même.
— Le progrès, c'est avant tout de croire en l'humain. »
***
Caïn ne croyait pas en l'humain.
Mais il savait en lui-même que Marc Gérald non plus.
D'ailleurs, plus personne ne croyait en l'humain, en 2098. Plus personne ne croyait en rien, en 2098. Le monde avait rétréci à l'image des aspirations de chacun. Pour ceux qui y habitaient, c'était peut-être un monde parfait, à l'image des rêves de ceux qui l'avaient précédé. Mais la perfection est si proche du cauchemar.
« Le bilan du cyclone s'élève maintenant à cinq mille morts, mais les disparus n'ont pas encore été comptés. Les avions d'aide humanitaire sont arrivés mais ont eu des difficultés à se poser et l'un d'entre eux a été attaqué à son atterrissage par des pillardes qui ont pris le contrôle d'une des pistes. L'armée a tenté de les déloger toute la nuit, mais manque elle aussi de moyens, tandis que la situation a obligé plus de deux millions de personnes à fuir... »
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L'ère des esclaves
Science Fiction-- Premier volet dans la trilogie Diel -- « L'homme est un super-prédateur qui a su s'adapter à de nombreux milieux, il s'est développé jusqu'à peser sur son environnement, et tôt ou tard il devra évoluer, ou disparaître. Nous savons que quelque c...