19. Le bouillon de culture

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« On peut tout révolutionner, du moment qu'on regarde plus loin que les autres. »


2044

« On croit à la fin du monde tous les ans, au final ça coûte cher en antidépresseurs – et c'est tout. Simplement, ce n'est pas le genre de délire duquel on peut revenir. Ah, et accessoirement, ça fait toujours fonctionner une certaine économie ; les ventes d'armes, les logiciels de traque et de reco faciale, les drones de surveillance. Prédictible.

Marc ouvrit le réfrigérateur. Les deux étages supérieurs étaient réservés à des boîtes de Petri, l'un pour les cultures de bactéries, l'autre pour les plantes. La plupart, mortes rapidement, avaient lentement muté en culture de champignons. Les bocaux avaient intérêt d'être bien scellés.

— La puanteur dans ce frigo est infecte.

— C'est peut-être moi. J'ai renversé de l'ammoniac il y a quelques jours.

— Je n'en sais rien, mais on dirait qu'il y a un rat crevé.

— Mais il y a un rat crevé. Je croyais que la boîte était bien fermée, pourtant.

— Il t'a servi à quoi ?

— Je testais un rétrovirus.

Marc parvint à attraper une canette de soda premier prix. Derrière elle était cachée la boîte de plastique alimentaire qui servait de cercueil au rat.

Si les agences sanitaires venaient mettre le nez chez eux, ils seraient rapidement enfermés.

— Ça fait trois jours qu'il faudrait le mettre à l'incinération, mais à chaque fois j'oublie de faire les prélèvements d'ADN.

— Ouais, ça m'étonnerait qu'il ne soit pas dégradé depuis ce moment.

— Je fais confiance au frigo.

Le français ouvrit la canette et en but une gorgée en dirigeant un œil torve sur les écrans. Leurs deux ordinateurs de bureau continuaient de travailler avec lourdeur.

— On parlait de quoi, déjà ?

— De la religion des Élus.

— Ah oui, tu la jouais encore dramatique, en me prédisant que dans dix ans, tout le monde se baladerait crâne rasé dans la rue. Et arrête d'appeler ça une religion. C'est juste une énième secte qui sert de façade à du blanchiment d'argent.

— Ils ont toute une sphère internet à leur botte, dit Eliott, et ils recrutent des milliers de personnes chaque jour.

— Et tu veux que je te dise ? On est des milliards ! On est neuf foutus milliards sur cette planète de merde. À mille par jour, il faut 25 000 ans pour engloutir la masse de notre espèce. Nous sommes immensément nombreux. J'ai l'impression que personne ne s'en rend compte.

— Pas besoin d'engloutir toute la population. Une fois qu'une minorité suffisamment bruyante est acquise, le reste des moutons suit.

— Mais même s'ils ont des rêves d'empire mondial... personne ne peut concrétiser ça. Ça se finit toujours de la même manière : dès qu'il y a trop de pouvoir à partager, tout le monde se casse la gueule allègrement.

— Les Élus ont largement la capacité de faire des armes biologiques.

— Mais tout le monde aujourd'hui peut faire des armes biologiques ! Même nous dans notre garage ! C'est comme de dire qu'ils savent se servir de lance-pierres. En revanche, qui a réussi à faire passer en douce des armes orbitales que tous les traités interdisent ? Les Chinois. Qui a des hangars secrets avec des milliers de drones autonomes en attente de la prochaine guerre ? Les Américains.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant