« Je commence à avoir un cercle d'amis, de clients et de collaborateurs assez intéressant. Je prends le pouls. »
2049
Marc entra dans le laboratoire comme un roi entouré de sa cour. De plus en plus de personnes le suivaient dans ses déplacements, et il devinait difficile de savoir de qui il s'agissait et quel rôle elles avaient. Souvent, il reconnaissait un chef de service, un sous-chef peut-être – toujours les plus stressés. Il y avait aussi un homme portant une caméra. Tous les jours, le quotidien du patron de Biodynamics faisait l'objet d'une actualité sur leurs différents réseaux sociaux. Une équipe de production avait été dédiée.
« Emmerich. Comme cela fait plaisir de te voir.
— C'est vrai qu'on ne se voit plus beaucoup ces derniers temps. »
Il y eut une avalanche de poignées de mains entre Peter, Emmerich, Marc, les chefs et les sous-chefs. Puis tout ce petit monde parcourut un couloir en discutant et en hochant les têtes, pendant que les laborantins et les robots de Biodynamics s'affairaient derrière des vitres blindées.
Marc fit un petit discours informel – mais face caméra – où il débita quelques poncifs convenus, on applaudit, on but du café, on discuta encore, puis le groupe se scinda et Marc et Emmerich entrèrent dans un bureau fermé.
« C'est de pire en pire, dit ce dernier. Je doute que tu aies encore le temps de faire du travail scientifique.
— On va se réorganiser, expliqua Marc en s'asseyant. Au niveau de la direction générale, je vais commencer à déléguer du travail. On est en train de finir d'aménager nos nouveaux locaux. Je compte installer là-bas un laboratoire expérimental plus discret, plus petit aussi. Ce sera l'endroit parfait pour parler science. J'essaierai de venir une ou deux fois par mois minimum, en fonction des projets en cours.
— Alors, comment ça se passe à ton niveau ?
Marc passa la main dans ses cheveux. De plus en plus d'entre eux étaient artificiels.
— C'est la folie, mais tous les voyants sont au vert. On a de plus en plus de fonds à allouer à la recherche.
— J'ai vu qu'ils avaient interdit le clonage, à la conférence de l'ONU.
— Ça, c'est le lobbying de l'Indonésie qui a porté ses fruits. Ces gens sont de vrais fondamentalistes religieux, pur et durs. Ils ont du mal avec tout ce qui touche à la biotech. Comme personne ne pensait se faire de l'argent avec le clonage, on leur a laissé ça pour leur faire plaisir.
— C'est toujours assez amusant, en effet. On peut facilement produire des vrais jumeaux en séparant un embryon humain en deux ; c'est pas interdit, et pourtant, c'est du clonage...
Marc soupira.
— Tous ces gens ont une vision étriquée de la personne humaine. Ils disent le contraire, bien sûr, avec leurs fantasmes d' « âme », et tout ça, mais en réalité ils veulent nous enlever le miracle de la vie. Le remplacer par un grand tabou religieux. C'est une plaie. Heureusement, cela n'aura aucune importance.
— Vous ne vouliez pas vous lancer dans le clonage ?
— On a abandonné l'idée. Autant recentrer BD sur ce qu'on fait de mieux, donc la synthèse génomique.
Emmerich hocha la tête en signe d'approbation.
Marc se souvenait du temps où ils avaient travaillé ensemble, mais cela lui paraissait maintenant si loin. Comme si une vie entière s'était écoulée. Ce qui était peut-être le cas.
— Et la chlorophage ? demanda Emmerich. On m'a dit de bonnes nouvelles. Tu confirmes ?
— Je confirme. Les résultats sont à hauteur de nos espérances. La bactérie est parfaitement compatible avec les faunes locales, et une fois dévoré son stock de plastique, elle ne persiste pas dans la nature. C'est une réussite. Ceux qui hésitaient encore entre l'amour et la haine nous ont maintenant complètement adoptés.
— J'ai vu ta photo sur la couverture d'un webzine.
— Ce n'était pas moi sur la couv, Emmerich, mais le PDG de Biodynamics. Maintenant, je suis cette entreprise, et je suis prêt à tout donner pour elle. Y compris à me mettre en scène, puisque mon image fait partie de celle de la boîte.
— Je comprends.
Son ton signifiait le contraire. Non, il ne pouvait pas comprendre, car il y avait une fracture entre eux deux ; Emmerich était resté un scientifique, tandis que Marc s'acheminait vers le rôle de prophète, guidé par l'aura rassurante de son ami, collaborateur, et confident ; Peter.
— Concernant la chlorophage, c'est aussi une démonstration de force. Si les nanorobots avaient pu faire ça, jamais ils n'auraient été régulés et interdits.
Emmerich, partagé entre la sensation grisante de victoire, et l'appréhension que lui inspirait Marc, dansa sur ses deux pieds.
— Quels sont les prochains projets ? demanda-t-il.
— Le secteur des organismes unicellulaires est bien rodé. Je pense que tu peux te consacrer à l'émergence d'un nouveau secteur.
— Ce sera quoi ? des invertébrés ? des plantes ?
— Je donne ce secteur à Eliott. Il va s'occuper de faire des tulipes bleues et autres choses utiles.
Emmerich réfléchit un bref instant.
— Je pense qu'on améliorera notre image de marque avec du riz ou du maïs. On pourrait aussi mettre leurs génomes dans le domaine public ; de toute façon, selon les facteurs qu'on y introduit, seule la synthèse génomique pourrait permettre de les produire, et nous sommes les seuls à l'avoir.
— Je vois que tu commences à avoir de bonnes idées.
Le business avait donc déteint sur tous les membres de l'équipe initiale – sauf le renégat Chen.
— Et moi, qu'est-ce que je fais, alors ?
— Les mammifères.
Il ouvrit de grands yeux.
— Vous commencerez par de petits rongeurs pour vous faire la main dans le secteur. Tout se passera dans notre nouveau labo, donc dans la discrétion, au cas où nous ayons quelques échecs. Mais je te fais confiance.
— Je n'imaginais pas que les choses aillent si vite.
— Il faut voir loin, Emmerich. Prévoir longuement à l'avance ce qu'on va faire - prévoir les marchés existants, et créer de nouveaux marchés.
— D'où tires-tu tes idées ?
— Ma foi, je discute avec pas mal de monde. Je commence à avoir un cercle d'amis, de clients et de collaborateurs assez intéressant. Je prends le pouls. »
Alors, voilà ce que veut ce monde où vit Marc, songea Emmerich, et duquel je ne fais pas partie.
![](https://img.wattpad.com/cover/76830675-288-k250858.jpg)
VOUS LISEZ
L'ère des esclaves
Science Fiction-- Premier volet dans la trilogie Diel -- « L'homme est un super-prédateur qui a su s'adapter à de nombreux milieux, il s'est développé jusqu'à peser sur son environnement, et tôt ou tard il devra évoluer, ou disparaître. Nous savons que quelque c...