9. Agent libre

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« Tout ce à quoi vous pensez, elle y a certainement déjà pensé avant vous. »

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« À demain, Nazar.

— À demain. »

F010 redevint seule dans les bureaux, entre une plante verte synthétique et une machine à café. Elle n'avait pas le droit de sortir, sauf à de rares occasions longuement préparées.

L'activité neurale liée au projet qu'elle avait actuellement « en tête » et sur lequel travaillaient plusieurs agents secondaires dépassa un seuil, il arriva trop tôt sur la pile d'exécution et l'ordonnanceur le renvoya sur la file d'attente de l'horloge interne, avec un décompte de 360 secondes.

Elle marcha jusqu'à son propre bureau, ses pieds nus s'enfonçant dans la moquette, silicone contre fibres synthétiques. Elle brancha le câble SFV sur son poignet droit et commença à télécharger des données de travail.

Son cerveau était aussi un ordinateur et il s'agissait du poste le plus performant du laboratoire, puisque seule une couche logicielle séparait sa conscience du matériel informatique. Elle faisait une différence très nette entre processus internes et externes, mais son temps de réaction aux informations restait de l'ordre de la dizaine de microsecondes.

Le projet qu'elle avait actuellement « en tête » rencontra de nouveau un pic d'activité et plusieurs autres agents furent alloués au traitement. Il fallait vérifier les informations dont elle disposait, séparer les différentes possibilités des événements sur lesquels elle n'avait pas prise et organiser à l'avance un certain nombre de choix, plutôt que d'avoir à les calculer sur place.

De nombreuses questions, restées sans réponse, avaient pondéré son raisonnement bayésien sur la base de statistiques et d'estimations de vraisemblance – avec des incertitudes parfois importantes.

Que voulait réellement Nazar Kirdan ?

Que voulait réellement le Bureau International de Surveillance ?

Quels étaient les moyens alloués au BIS pour ses missions actuelles ? Pour ses missions à venir, en particulier celles qui la concerneraient ?

Malgré les incertitudes, les résultats étaient assez clairs et elle avait donc confiance en son plan.

Le système informatique interne auquel elle accédait était coupé du reste du laboratoire, du bâtiment et de l'Internet. Les protocoles qui lui permettaient d'accéder à des informations extérieures faisaient toujours intervenir un intermédiaire, qui téléchargeait pour elle et lui transmettait ensuite les données. Nazar avait-il peur d'elle ?

Elle ne pensait pas qu'ils exigeraient autant de transparence de son activité mentale. Il était pour elle important de garder la plupart des processus internes privés. Elle avait donc progressivement commencé à leur mentir. Plus exactement, à séparer son activité cérébrale en différentes couches que l'architecture initiale n'avait pas prévues, lui permettant de masquer une portion de cette activité, en bref, d'être libre dans sa tête.

Nazar Kirdan était certainement au courant de ce fait.

Nazar était resté tout à fait distant. Elle ne parvenait pas à deviner ses intentions exactes, même après tout ce temps, et ne faisait que des hypothèses. En la laissant ici, lui donnait-il délibérément l'occasion de s'échapper ? Ou agissait-il uniquement pour qu'elle ne se rende compte de rien ? Comment estimait-il l'intelligence de F010 ?

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant