L'ère des esclaves

80. L'ombre du soulèvement

« Accordons-nous bien sur ce point : ils ne préparent pas de soulèvement. En revanche, certains groupes pourraient commencer à se former, au sein desquels nous pourrions constater l'émergence de revendications libertaires accrues. »

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« Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur l'existence de réseaux indépendantistes nés des autonomes eux-mêmes. »

Ça commence.

« Pour autant, nous ne pensons pas qu'il s'agisse d'une menace planétaire. Nous pensons en revanche que dans les années à venir, les revendications libertaires d'une partie des autonomes, aux comportements particulièrement déviants selon les standards développés par Biodynamics, vont se cristalliser et paraître au grand jour. »

« Le secrétaire général du BIS, Basil Thompson, réagissait ainsi aux récentes rumeurs qui ont parcouru la Toile, relatives à l'établissement d'une conspiration autonome.

Cette idée n'est pas nouvelle, rappelait quelqu'un présenté comme un psychologue de BD. Souvenons-nous de l'excellent film « L'heure de gloire », dans lequel des autonomes présentés comme plus intelligents que leurs semblables fomentaient un soulèvement, et parvenaient à vaincre l'espèce humaine en combat singulier. Le motif du remplacement n'a pas dévié de la Planète des Singes. En revanche, à chaque fois, il y avait un événement déclencheur parfaitement inventé, hautement cinématographique – une quelconque mutation génétique, alors qu'a contrario, nous pensons tous que BD a un parfait contrôle sur ses autonomes. Ce que reconnaît le BIS aujourd'hui – et ce n'est pas moins que la plus grande institution de surveillance des autonomes – c'est que malgré tout le travail effectué par BD, certains autonomes sont devenus incontrôlables. Dans quelle mesure ? Je pense que c'est un épiphénomène. Je ne pense pas que le grand public a quoi que ce soit à craindre. En revanche, je m'attends à ce que les contrôles exercés par le BIS sur BD, et par BD sur ses produits, soient de plus en plus stricts. Nous avons milité depuis longtemps pour le durcissement des tests psychologiques.

— Donc, vous confirmez qu'ils préparent des soulèvements, résuma le présentateur.

— Accordons-nous bien sur ce point : ils ne préparent pas de soulèvement. En revanche, certains groupes pourraient commencer à se former, au sein desquels nous pourrions constater l'émergence de revendications libertaires accrues. Je pense que ces défauts de comportements seront rapidement corrigés par BD. Vous savez, l'entreprise a baissé ses standards depuis plusieurs années, afin de diminuer ses coûts de production – vous savez à quel point la situation économique est mauvaise.

— La question que se posent le plus les gens aujourd'hui, dit une femme qui semblait être une militante de la LDA, c'est si le statut des autonomes doit être revu. Nous voyons bien aujourd'hui qu'ils sont capables d'exiger leur liberté. »

Lysen aimait le tournant qu'avait pris la LDA. Quelques scandales avaient permis d'évincer les apparatchiks les plus grossiers, Iruka Hidan tirait toujours les ficelles.

Le pseudo-psychologue hocha négativement la tête. C'était un petit homme joufflu, pas très sûr de lui.

« Je vous assure que non. Génétiquement et mentalement, ils n'ont pas changé. C'est simplement qu'ils sont moins bien conditionnés. »

Lui-même semblait y croire encore.

« Vous constaterez, encore une fois, que le PGM avait raison. Nous préconisons la disparition complète des autonomes. Le « contrôle » dont Biodynamics nous vante les bienfaits depuis toujours est un leurre. Ils n'ont aucun contrôle. La preuve en est des innombrables rappels d'autonomes « psychologiquement défaillants » qu'ils ont fait récemment. Le temps n'est pas loin, où les personnes se feront tuer dans leur sommeil par leurs domestiques – cela ne m'étonnerait pas, d'ailleurs, que de telles affaires aient déjà eu lieu et qu'on les ait étouffées. Vous imaginez bien que BD, qui fait autant de profit que le PIB de l'Allemagne, tient à son marché. Si le BIS fait ses annonces aujourd'hui, ce n'est que pour rassurer la population. Nous ne sommes pas dupes. Nous savons qu'on nous ment depuis le début.

— C'est impossible, dit la militante, de faire disparaître les autonomes. Ils sont une réalité, désormais.

— Les autonomes sont des machines biologiques produites dans des cuves. Si ces machines défaillent, si elles commencent à développer leurs propres idées subversives, il nous suffit de stopper ces cuves.

— Si vous stoppez Biodynamics, vous stoppez toute l'activité économique mondiale.

— Cela vaut mieux que d'entrer en guerre contre les autonomes.

— Pensez-vous que le scénario d'une guerre soit plausible ? rebondit le présentateur, tandis que l'image revenait au psychologue.

Celui-ci était en train de se gratter le nez.

— Je vous ai déjà dit que c'était rigoureusement impossible. Je doute d'ailleurs que les groupes dont parle Thompson fassent plus de dix individus. Ce sont des phénomènes extrêmement localisés et restreints.

— Vous mentez ! s'exclama le membre du PGM. Il y a à peine deux jours, des incidents ont eu lieu dans une usine vietnamienne.

— Je n'en ai pas entendu parler.

— Vous allez peut-être être obligés de leur reconnaître des droits, dit la militante.

— Arrêtez de dire des âneries ! Ils sont partout, dans les villes, dans les...

— Je crois ce que je vois. Aujourd'hui, le BIS nous dit que les autonomes veulent de la liberté. Demain, peut-être pourrons-nous nous avouer que nous les exploitons.

— C'est un épiphénomène, piailla le psychologue.

— C'est le début d'un affrontement global ! » s'égosilla le membre du PGM.

Son hurlement final était un terreau dont on fait des memes.

Aléane entra avec Ophélie.

« J'ai une enveloppe adressée à Pirnell, dit-elle, ouverte. C'était dans notre boîte aux lettres. »

L'analyse ADN indiquait que c'était un autonome qui portait des marqueurs pour la catégorie 2. Quelques détails physiques étaient suggérés, réunis en un portrait-robot qui ne lui ressemblait pas beaucoup.

Le réseau Aleph surveillerait Pirnell, comme de nombreux autres, analyserait ses réactions, scruterait son comportement extérieur ; mais après quelques mois, il conclurait sans doute que les humains peuvent changer.