37. Lysen

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« Voilà notre nom. Nous sommes des okranes. »

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« Voici mon conseil le plus important, dit Caïn tandis qu'ils désherbaient autour des vignes. Fais attention à ta tenue de travail, parce que tu n'en auras pas d'autre. Tu es en catégorie 3. Tu coûtes aussi cher que l'entretien annuel, donc ils font des économies sur les vêtements. »

Lysen ne disait rien, attentif à recopier leurs gestes et à engranger les informations.

Ils rentrèrent aussitôt la nuit tombée.

« Nous sommes onze dans l'exploitation. Le contremaître s'appelle Strykes. Tu l'appelles donc « monsieur Strykes ». Le propriétaire est Ying. C'est donc « monsieur Ying ».

Arrivant aux bâtiments, ils passèrent dans la lumière d'un lampadaire, et Caïn releva discrètement sa manche gauche. Son bras était strié d'épaisses cicatrices.

— Tous les trois mois environ, Strykes fait un exemple. J'ai fait les frais du dernier.

Ils croisèrent deux autonomes qui faisaient des rondes de nuit pour surveiller les terrains.

— Là-bas, avertit Caïn, les bâtiments en L, c'est la maison de monsieur Ying, plus celle de monsieur Strykes. Leurs familles vivent ici. Tu n'auras jamais à t'approcher de ces lieux à moins de dix mètres. Les seules personnes qui y vont sont Kate, parce qu'elle y sert comme domestique, et moi, parce que je fais un rapport journalier à M. Strykes. Ying n'aime pas les autonomes et ne leur parle jamais, pour tout te dire, je ne l'ai vu que quatre fois en trois ans. Strykes, lui, vient sur les terrains une ou deux fois par jour pour faire semblant de s'intéresser à ce qui se passe. »

Plus loin, à l'écart, se tenait un bâtiment de bois à un seul étage, plongé dans l'obscurité, retapé à la main.

« Alors... »

Leurs yeux s'adaptaient à l'obscurité plus facilement que les humains. Caïn alluma une vieille bougie dans une coupelle métallique pour les guider, puis la posa sur une vieille commode en bois.

Des lits en bois superposés faits de bric et de broc s'alignaient dans l'ancienne grange, avec de vieux matelas rembourrés de paille.

« Tous les mois, on désinsectise. Les poux sont très voraces et Strykes les a en horreur. Fais aussi attention aux araignées. Si tu en croises une de la taille d'une main, striée de rouge, sa piqûre déclenche des allergies chez la moitié des humains et un okrane sur dix. Seule solution : la semelle, avant qu'elle ne soit tentée de t'attaquer.

— Okrane ?

Des toiles de récupération couvraient le sol ; en face, des bâches clouées par-dessus la charpente limitaient les écoulements d'eau du toit vétuste.

— Les humains considèrent cet endroit comme notre taudis ; en tout cas il est à nous, et ils ne s'en approchent jamais. Ici, ce n'est pas leur monde, mais le nôtre. Aussi nos coutumes et notre langage y règnent.

Caïn joignit les mains, terminant son explication.

— Pour les humains, nous ne sommes qu'une extension de la robotique, définie par l' « autonomie ». Nous n'avons pas de véritable nom, puisque notre seul nom est un adjectif. Pauvre, n'est-ce pas ? Alors voilà ce que nous sommes en réalité. Voilà notre nom. Nous sommes des okranes. Une espèce à part entière. »

Il n'entra pas dans les détails, car ce serait beaucoup pour Lysen en une seule journée.

Les autonomes devaient s'approprier le langage des humains en quelques années à peine. Cette immense capacité se traduisait plus tard dans la vie de leurs esprits : les noms, les dénominations avaient un sens profond pour eux. Elles étaient la clé d'un monde abstrait où ils pouvaient proclamer leur liberté.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant