11. BIS

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« D'ici la fin de ce siècle, tout aura changé. De quelque manière que ce soit. »

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Les caméras le reconnurent, les accréditations du véhicule circulèrent dans les systèmes d'information, les grilles s'ouvrirent à lui.

Seul passager, le professeur Von Glats regarda d'un œil torve le jardin du directorat local dérouler devant lui ses allées calmes et parcourues par des robots de surveillance à l'allure canine.

Un officier lui ouvrit la portière comme s'il était un chef d'État en déplacement, et le guida jusqu'au bureau du directeur Vince. Cela ne faisait que quelques années que le BIS existait, mais une telle assurance émanait de ce directorat, croisement entre une ambassade et un centre d'opérations, une telle impression de calme et de force latente, que Von Glats ne doutait plus de l'avenir de l'agence.

Des hommes puissants s'étaient concertés, dans le secret des alcôves diplomatiques, et avaient décidé de redessiner l'avenir géopolitique mondial. Ceux qui n'avaient pas participé à ces discussions, les plus petits, suivraient le mouvement comme ils l'avaient toujours fait.

Était-ce la dernière étape vers un monde sans État ? Von Glats en doutait. Il se faisait plus pessimiste au contraire. Le BIS serait un adversaire de choix pour toux ceux qui défendaient des principes de liberté aussi nébuleux et malléables que leurs troubles carrières politiques arrivistes. Il serait aussi un monstre à la mesure des aspirations de guerre idéologique des anarchistes de tous horizons. Jusque-là personne ne s'était trouvé dans une position aussi fragile.

Un large écran occupait le mur de droite, à l'opposé d'un bureau de bois simple. Le directeur Vince, un homme moustachu relativement flasque, serra la main à Von Glats avec un sourire convenu. Ce dernier eut l'impression que les chairs coulaient entre ses doigts comme un céphalopode pourrissant au soleil.

« Je suis ravi de votre présence, professeur. Ravi de votre collaboration avec le Bureau. J'espère qu'elle sera fructueuse.

— Qu'attendez-vous de moi ?

— Parlons du professeur Mrozowski.

— Mrozowski est mort depuis des années, et je ne l'ai guère connu.

— Son héritage va marquer ce monde, dit Vince, retourné à sa chaise, en tirant quelques bouffées d'un cigare électronique. Prenez par exemple le BIS : nous sommes là, et pour longtemps, en partie grâce aux idées mondialistes du professeur.

Von Glats prit un air suspicieux.

— Que voulez-vous, ricana Vince, il est des hommes comme lui qui ne font rien de leur vivant et marquent le monde une fois qu'ils sont morts. Pour des hommes comme nous, c'est le contraire.

Il toussota.

— Parlons aussi de Nazar Kirdan.

— Lui aussi, je...

Vince joua avec des commandes sur la tablette posée sur son bureau, et l'écran en face de lui s'illumina.

— Savez-vous ce que c'est ? C'est le Vautour I. Un drone autonome. Il existe depuis presque dix ans.

Sa face joufflue fut agitée d'un sourire qui dévoila une partie de ses dents jaunâtres.

— Charlatans ou pas, les futurologues influents nous prédisent que dans cent ans, le monde sera un système intégré dans lequel la notion usuelle de « guerre » n'aura plus cours. D'ici là, le rôle du BIS est d'empêcher la prolifération des armes. Et je ne parle pas des fusils mitrailleurs : ceux-là ne nous intéressent pas. Il y en aura toujours et il y aura toujours des guerres ethniques ou localisées. Non, je parle des armes qui font peur aux grandes puissances de ce monde : les armes nucléaires, nanorobotiques, biologiques et autonomes.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant