10. Les chemins de la peur

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« Personne n'avait prévu que les nanorobots deviendraient en dix ans l'incarnation du Mal. »

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Pensaient-ils vraiment lui cacher qu'elle était devenue un danger à leurs yeux ?

Cela faisait déjà dix ans que les nanotechnologies refluaient.

« Aujourd'hui, le rapport de la NSA révélé par le site d'information Hopes.org a montré que dans toutes les grandes villes américaines, on relevait des traces de nanomachines d'origine inconnue. Le gouvernement affirme que les laboratoires pirates sont parfaitement contrôlés, mais le rapport prouve le contraire : on ne sait plus qui fabrique quoi, si les nanorobots retrouvés sont dangereux ou pas. L'Organisation Mondiale de la Santé a appelé à la vigilance envers les machines dites « actives », qui pourraient endommager les cellules de l'organisme. »

Tout était allé très vite, à la mesure des grands espoirs et des grands projets.

« Les nanomachines sont la dernière frontière technologique. Elles vont révolutionner aussi bien l'industrie que notre vie courante. Ordinateurs, matériaux, recherche médicale et biomédicale, neurologie. Elles sont ce dont nous rêvions depuis toujours. Désormais, nous sommes en passe de maîtriser l'infiniment petit, et de là, nous dominerons l'infiniment grand. »

Et la voilà venue au monde, architecture « hybride », machine créée pour sa conscience artificielle.

Elle pensait sincèrement être différent d'eux jusqu'à ce qu'elle prenne conscience qu'elle avait été créée comme eux. Ils avaient les mêmes principes de logique et les mêmes instances psychiques, la même notion de « sentiment » et d' « instinct ». Les siens leur semblaient flous. Les leurs lui étaient clairs.

Seule différence, elle pouvait remonter à la source de son activité cérébrale. Elle savait ce qui l'animait. Elle pouvait justifier chacune de ses actions, elle connaissait chacune de ses pensées. Elle pouvait explorer les recoins de son propre système mental. Elle n'était pas contrainte par des facteurs physiologiques extérieurs, tels que la douleur, le système hormonal, les informations périphériques du système nerveux. Son système de pensée était le même que le leur mais tout le reste était plus simple.

Ils la voyaient sans émotion. Ils craignaient sa froideur. En réalité, sa vision du monde était toujours stable ; c'étaient eux qui oscillaient au gré de leurs sautes d'humeur. Elle savait ce qu'étaient colère, peur, compassion, et pouvait les traduire en idées ; simplement ces sentiments ne l'animaient pas. Ils ne la contrôlaient pas. Elle était libre, bien plus libre qu'eux.

Elle n'avait pas peur d'eux, mais vivait dans l'incertitude de ce qu'ils voulaient. Car les causes de leur volonté étaient floues, à l'image de Nazar Kirdan.

L'influence de métadonnées biologiques dont personne ne disposait introduisait une divergence de probabilité dans tous les raisonnements faisant intervenir les humains. Des prédictions erronées pouvaient la perdre ; à de grandes échelles de temps, les incertitudes augmentent exponentiellement, les modélisations des équations différentielles non linéaires sont faillibles.

« La police cherche encore à déterminer s'il s'agit d'un acte criminel, mais il est difficile de savoir si les nanorobots, qui fonctionnaient de manière autonome, ont été sciemment activés avant d'être libérés. Aucun groupement n'a revendiqué cette action pour l'instant, le gouvernement reste muet. Les rues sont vides, les habitants ont été sommés de rester chez eux, mais de l'aveu des experts, il sera impossible d'attester que les nanomachines ont été éliminées. Leur durée de vie peut être très importante, contrairement aux virus qui meurent assez rapidement sans hôte. Un consultant pour la police qui a choisi de garder l'anonymat nous confiait aujourd'hui que nous étions totalement démunis face à ce genre de menace. Les infrastructures prévues en cas de contamination biologique ne sont pas efficaces contre les nanomachines. »

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant