42. Dakar

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« C'était écrit dans les pages de l'histoire, depuis la naissance de l'être humain ; c'était rappelé dans toutes les légendes et dans tous les mythes. »

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Marc consulta son agenda sur l'écran à l'intérieur de la voiture. 28 décembre. Les rendez-vous de l'après-midi ayant été annulés, officiellement pour raisons de santé, il disposait de quatre heures de liberté.

La direction générale de Biodynamics, si elle gardait un œil sur lui – avait-il autre chose qu'un rôle représentatif ? – remarquerait son escapade d'ici quelques heures. Il se trouverait des excuses, arguerait que les agents chargés de sa sécurité ne l'avaient quitté à aucun moment.

Le Lac des cygnes jouait divinement dans ses oreilles tandis qu'il ouvrait un dossier trop longtemps négligé. Totalement invisibles à première vue, les prothèses qui remplaçaient son audition déficiente avaient cet avantage de rendre plus fidèlement les sons qu'une oreille humaine habituelle – devenir un humain augmenté, une opération banale à l'aube du 22e siècle.

Biodynamics, dans les cinquante ans où elle était devenue ce monstre administratif tentaculaire et opaque, s'était révélée une superbe industrie de dossiers. Les plus urgents s'ornaient de signatures rouges accrocheuses, de mentions appelant l'attention du lecteur comme les publicités sur une page web de 2050. Écrites en majuscules, gravées, tamponnées, elles se multipliaient comme les fleurs dans une prairie montagnarde.

Celui-ci avait échoué à ce jeu, la sélection naturelle de l'attention humaine l'avait éliminé.

Il s'agissait d'un comptes-rendu sur l'évolution des autonomes, en cinquante ans de production. Depuis les premiers génomes miraculeusement inventés par Emmerich jusqu'aux cartographies de facteurs standardisés, orchestrées comme une symphonie par les généticiens de Biodynamics, afin d'aboutir au parfait produit.

Le dossier n'avait pas la même emphase. Au contraire, il pointait du doigt certaines incohérences dans le génome, apparues progressivement ; des mutations jamais compensées, des gènes ayant acquis la capacité de s'exprimer. Plusieurs teintes d'yeux avaient disparu des catalogues et de l'expression phénotypique. La complexité des échanges à l'intérieur de l'entreprise, transitant entre de multiples directions et sous-directions, aidait à camoufler de telles erreurs.

Le taux de malformations croissait linéairement depuis 2048.

En posant ses yeux sur ces graphiques, Marc savait ce qu'il allait y trouver ; car il s'y attendait depuis de longues années. Même avant d'avoir quitté le domaine scientifique pour se consacrer exclusivement à la gestion des affaires, depuis la naissance de Katia et ses premiers pas dans cette petite salle stérile, cette piscine de liquide amniotique artificiel dans laquelle glissait cette forme fragile et élancée. Il savait que quelque chose n'allait pas. Au plus profond de lui, il cherchait le pourquoi, mais Biodynamics affichait son succès partout autour de lui, programmée pour réussir, incapable de reconnaître ses erreurs.

Depuis 2048, les autonomes n'avaient cessé de s'éloigner de leur génome initial. Portés par le courant de mutations aléatoires, ils évoluaient en quelque chose de nouveau, que l'entreprise ne pouvait ni prévoir ni contrôler. C'était écrit dans les pages de l'histoire, depuis la naissance de l'être humain ; c'était rappelé dans toutes les légendes et dans tous les mythes. Lorsque l'hubris de l'humain le poussait jusqu'à la divinité, lorsque la tour de Babel dépassait les nuages et que son sommet frappait aux portes du Paradis, les manifestations de son pouvoir s'effritaient, se révélant poussière.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant